Microbe et Gasoil de Michel Gondry - 2015

Voilà le mystère élucidé! Le secret de la mécanique des rêves de l'inventeur fou Michel Gondry réside dans ce petit bijou. Très déçue par L'écume des Jours, qui ressemblait plus à un film de commande qu'à une offrande au dieu Vian, je pensais devoir faire mon deuil de celui qui était ma sucrerie, mon petit plaisir coupable des salles obscures. Mais la folle virée de deux outsiders rappelle les meilleurs teen-movies de John Hugues et ferait presque de l'ombre au génial Ferris Bueller's day off.

Dans ce récit autobiographique à peine voilé, Daniel (Ange Dargent) alias Microbe ne dessine pas des moutons mais des femmes à poil et en poils. Haut comme trois pommes d'amour, le jeune agneau pré-pubère se sent bien seul pris entre ses fantasmes cachés sous le lit et les premières angoisses adolescentes.

A la maison, il est pourtant entouré d'un frère punk, d'un footeux, d'un père évanescent et de sa mère. Et quelle mère! Audrey Tautou incarne à la perfection Sainte Marie-Christine, une mère bohème, névrosée et intrusive qui ne s'exprime qu'en paroles ésotériques (tout ça à la fois, c'est possible!).

Au collège, Daniel veut la grande et belle Laura, et peut-être même qu'il l'aura. Qui sait? A défaut de voir sous sa jupe il dessine sa nuque. Mais comment dépasser la simple amitié quand on n'est ni sportif ni séducteur dans l'âme?

Et abracadabra, le destin a la brillante idée de parachuter Théo (Théophile Bacquet) dans la classe de quatrième, option russe de Daniel. Le nouveau est le contraire de Microbe. Condamné à subir les récriminations de parents mal-aimants, il n'en reste pas moins éloquent, exubérant, toujours les mains dans le cambouis. D'ailleurs on finit vite par le surnommer Gasoil, parce qu'il sent l'essence notre petit saltimbanque amateur de jeu de mots de bon aloi.

Le coup de foudre entre les deux exclus est presque immédiat. Gondry décline Mary Poppins au pays des frères Dardenne. La poésie et la résilience viennent à bout des petites humiliations que subissent ceux qui ne sont ni beaux, ni grands, ni fils d'avocat. Daniel et Théo deviennent inséparables. Ils partagent tout, sans jamais faire de concessions, jusqu'à réaliser l'impossible. Chacun dans son domaine est un artiste qui excelle dans son domaine, et ensemble ils comptent bien faire un doigt d'honneur à l'autorité aussi bête que méchante (Gondry ne manque aucune occasion de tourner en ridicule les policiers et de pointer du doigt notre indifférence à la misère du monde).

Michel Gondry réinvente avec humour et une intimité pudique le parcours initiatique au cinéma. Les seconds rôles brillamment interprétés n'y sont pas non plus étrangers. Laurent Poitreneaux en dentiste sociopathe est un vrai délice. Nos deux Ulysse partis à la conquête des routes de France dans leur voiture-maison vont devenir des hommes le temps d'un été. A force de bricolage, de ponçage et de marouflage, Microbe et Gasoil arrachent cette liberté que le quotidien médiocre ne veut pas leur céder. Il est peut-être là l'hommage à Boris Vian.