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Le Journal d'une Femme de Chambre de Benoît Jacquot - 2015

Le Journal d'une Femme de Chambre de Benoît Jacquot - 2015

"Il n'y a pas de mauvaise place, il n'y a que de mauvais maîtres". Ainsi commence, pour Benoît Jacquot, la reprise de l'épineux flambeau après l'érotisme pervers de Bunuel et la fantaisie de Renoir. Certainement la plus fidèle au roman de Mirbeau, cette adaptation ne manque pas de noirceur visuelle ni d'acteurs bien inspirés par un jeu théâtral rendant hommage aux dialogues salés de l'écrivain libertaire. Par le récit intime, Célestine (Léa Seydoux) livre, avec un dégoût non dissimulé, les mœurs sans morale de la bourgeoisie qu'elle doit servir. Inconstante, insolente et faisant preuve d'une hargneuse détermination à défier ses maîtres, la jeune parisienne se retrouve à servir un petit couple de province. La petite bretonne d'Audierne dit tout haut ce que Mirbeau lui faisait écrire tout bas. Ces apartés pimentent la tranquille servitude de la chambrière face à la maîtresse qui a le cœur aussi dur et aussi bien enfoui que son pot de chambre. Mais c'est de l'homme à tout faire, Joseph (Vincent Lindon), dont il faut se méfier dans cette fresque sociale acide que Jacquot a maintenu au moment de l'affaire Dreyfus.

Dans un style qu'on ne lui connaissait pas, plus physique et plus vigoureux, la caméra de Jacquot renifle ses personnages en s'accrochant à leurs gestes et à leurs yeux pétris de prières jamais exaucées. A l'image des frères Dardenne qui co-produisent le film, Jacquot aussi ose la caméra à l'épaule qui, une fois n'est pas coutume, renforce la complexité des portraits aussi ambivalents que détestables. Dans les scènes dont émane une certaine tension sexuelle, aux confins du fantasme, Jacquot sait qu'il ne faut pas chercher plus loin que le maître en la matière. Les plans lynchéens qui rappellent Twin Peaks surviennent dans ce qui n'est pas dit mais aimerait se faire : l'épisode entre Célestine et le guichetier à la gare, les premiers contacts entre la chambrière et Joseph. Ces ralentis subtils suivis d'un zoom brusque installent un malaise, comme une impression d'irréel ou tout du moins de réalité étouffante.

Mais parfois, les souvenirs qui remontent à la surface manquent de fil conducteur. En cela, le Journal d'une Femme de Chambre revu et corrigé par Bunuel a su faire table rase du passé de Célestine pour propulser son imagerie personnelle au premier plan. Là, Jacquot s'efforce de maintenir intacte la trame du roman, de l'anecdote des pruneaux, de la mort subite de Monsieur Georges (d'ailleurs Vincent Lacoste ne devrait se contenter que des films de Riad Sattouf) jusqu'à l’ambiguïté sur la culpabilité de Joseph. A-t-il tué la petite Claire dans la forêt? La femme de chambre n'en gardera qu'une intime conviction, ce qui ne fera que nourrir son désir pour lui. C'est le transfert des rapports de soumission qui habite ce film. Similaire à son précédent film Au fond des bois (2010), deux êtres que tout oppose physiquement se cherchent éperdument entre fascination et répugnance pour l'autre. Elle se joue des avances de monsieur Lanlaire et du voisin mais la garde de Célestine baisse à mesure que Joseph affiche ses engagements politiques et son désir de faire d'elle une prostituée. Elle abandonnera ses maîtres pour se soumettre à sa volonté. Pour Jacquot, les éclats de l'orgueilleuse Célestine contre l'autorité ne sont donc que de la poudre aux yeux. Sa condition de servante n'est que le miroir de sa nature profonde.

Pour son trentième film de l'année, la James Bond Girl Seydoux a trouvé assez de souffle pour incarner avec finesse ce rôle complexe. Jacquot en a fait une femme plus servile et moins féroce que dans le livre mais il n'en reste pas moins que l'actrice a su donner une réelle épaisseur à cette femme de chambre qui vit dans la crainte de devenir putain (comme cela arrivait souvent à l'époque) mais qui par un étrange amour, est désormais prête à aller jusqu'au crime. Vincent Lindon est quant à lui toujours hypnotique. Muet et taciturne la moitié du film, on ne veut pourtant voir que ses efforts silencieux pour se rendre indispensables à ses idiots de maîtres. Joseph, l'antisémite, anti-dreyfusard qui voit en Célestine un alter ego aussi diabolique que lui est un rôle à la mesure d'un des plus grands acteurs français. Le duo improbable est parvenu à interpréter ces compagnons d'infortune comme deux loups qui se guettent et dont la violence latente et les fourberies ne sont qu'à la hauteur de leur liberté contrariée.

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