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Near Death Experience de Benoît Delépine et Gustave Kervern - 2014

Near Death Experience de Benoît Delépine et Gustave Kervern - 2014

Vendredi 13, 13h00. Jean-Pierre Pernaut, dans son professionnalisme légendaire, conjure Paul, ivre devant sa télé, de ne surtout pas avoir peur. Notre employé de France Telecom voit là l'appel déterminant pour enfin oser tout envoyer valser. Michel Houellebecq incarne ce père fatigué de déambuler dans un appartement minable en slip blanc, cet époux qui s'accroche à son canapé aussi fort qu'à son cubi de rosé. Toute cette vie de famille léthargique reste hors-champ puisque la solitude d'un quinquagénaire obsolète prend déjà toute la place dans cette vie embuée par les vapeurs de cigarette.

Dans cette asphyxie de l'homme moderne viril et productiviste, Paul pédale fort sur son vélo de compétition pour fuir la ville. Force est de constater que les plans de profil ne sont pas tendres avec ce Houellebecq défiguré par le désespoir. Son corps décharné ne sert plus qu'à fumer piteusement, baver de fatigue et s'accrocher comme une moule sur les pierres. Comme un oiseau de mauvais augure, le charognard en cycliste se perche quelques minutes sur son rocher de Sisyphe comme pour nous dire qu'il arrête tout. Désormais, il ne portera plus le poids de la misérable condition humaine. "S'il n'y avait pas les enfants, il y a longtemps qu'on l'aurait fait. Suicide collectif. On le fait, mais en douceur, pour ne pas qu'ils s'en rendent compte".

Mais il faudra du courage et de la chance pour sauter le pas. Cette fois, sa détermination ne le fera pas échouer. Les bras écartés, Paul est prêt à s'envoler vers le sol. Encore faut-il trouver l'occasion de faire le grand plongeon. Malgré les montagnes escarpées et les chemins sinueux, Paul n'est jamais seul. A chaque tentative de suicide, il croise un randonneur, des enfants, un fou ou un couple. Ces casseurs de solitude le rappellent systématiquement à la vie. Comme un animal, il aimerait se cacher pour mourir.

De cette immensité rocailleuse, le duo de cinéastes cinéphiles en fait un terrain de jeux pour leurs expérimentations cinématographiques. Ils refont l'atterrissage sur la Lune, le Tour de France et même les premiers plans expressionnistes de Murnau. Dans un jeu d'ombre, Paul devient Nosferatu en imitant le garçon étrange qu'il était, ce pigeon voyageur au langage impossible à décoder. Aussi, les monologues off habillent les longs plans séquence d'un Paul errant dans les abîmes et les contradictions de sa pulsion de mort. L'homme marchant après son ultime disparition parmi les splendeurs végétales rappelle inévitablement le Goût de la Cerise (Palme d'Or 1997) d'Abbas Kiarostami. Loin de la contemplation naturaliste du poète Iranien, Kervern et Delépine appuient au contraire sur l'absence de contre-société. Rien ne vient s'opposer à l'obéissance programmée des fourmis errantes qui travaillent pour mieux dormir. Avec un unique plan subjectif, Near Death Experience nous confronte à notre propre désespérance. C'est un miracle que de vivre un quotidien qui nous remplit de vide jour après jour. Par habitude, Paul débite ses dialogues avec ses clients comme une pollution de l'esprit qu'il essaye d'exorciser. Jusqu'au bout, il ne peut se soustraire à la réalité urbaine, celle du chauffage centrale et du lit douillet. Incapable de faire du feu et de dessiner un animal sur un caillou, il ne peut même pas remonter à l'homme pré-historique. Alors il devra se contenter de l'homme contemporain et content pour rien qui érige des montagnes de cailloux pour s'adresser à une famille absente. Mais après tout il s'en fout, puisqu'il est mort.

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