Vincent n'a pas d'écailles de Thomas Salvador - 2014

Adepte du court-métrage depuis bientôt 15 ans, Thomas Salvador saute enfin dans le grand bain avec ce fantastique Mister Vincent. A quarante ans, le cinéaste se donne le premier rôle au côté de la délicieuse Vimala Pons pour écrire une histoire abracadabrante à laquelle notre besoin de réenchantement du monde croit intuitivement. Capable de décupler sa force au moindre contact avec l'eau, la réserve et la discrétion de Vincent l'empêchent de faire de lui un super-héros à l'orgueil écarlate et aux collants verts. C'est plutôt le bleu de travail qu'il enfile tous les matins pour gagner de quoi se payer un sandwich qu'il mangera seul, une fois de plus. Taiseux, il plonge tête la première dans un silence quasi-religieux. A vrai dire, Vincent se passe très bien des règles de politesse tant qu'il peut répondre à l'appel mystique de l'eau et de ses reflets mordorés. La magie opère! Le jeune homme nage comme un dauphin mais de retour sur terre le maçon amphibie n'est ni assez productif, ni assez mécanique dans ses gestes. Heureusement que l'enivrante vertu minérale vient compenser les limites du réel. Dans ce monde-ci, une bonne douche suffit à briser un mur qu'une masse n'arrivait pas à faire flancher.

Lors d'une baignade, Vincent croise le regard d'un renard, comme s'il voyait un frère de ruse. Mais c'était avant sa rencontre foudroyante avec la mutine Lucie. Expansive et volubile, la jeune femme est l'antithèse de notre sombre inconnu à la force herculéenne. Visiblement, son pouvoir à elle c'est le rire. De silences en sourires, ce sont leurs corps qui finissent par se dire oui dans "la plus longue caresse du monde". La poésie fulgurante de leur relation redynamise un scénario qui manque parfois de souffle. Le montage est audacieux et la présence de Vimala Pons est solaire. Dès lors que le secret est partagé, l'histoire d'amour fait la part belle à l'émerveillement enfantin. Où sont les écailles? Où sont les doigts palmés? Lucie n'est pas plus bouleversée que cela. Ça l'amuse, tout simplement.

Mais pour faire un bon film il faut savoir gâcher l'idylle. Alors Salvador met en scène une dispute entre collègues. Ni une ni deux, Vincent, brave et héroïque, ne se jette pas dans le Styx comme Achille mais il se vide tout de même une bassine sur la tête. Ta Dam! Le tour de magie peut commencer! En toute simplicité, il balance une bétonnière sur une voiture et bouscule violemment un des hommes qui attaquaient son ami. Après ce spectacle désastreux, Vincent va devoir partir et faire profil bas. Coursé par la police, il nage pour se sortir la tête hors de l'eau mais laisse derrière lui quelques indices troublants pour les forces de l'ordre. Devenu un fugitif en eaux troubles, la survie fait désormais partie de son quotidien. Voilà donc un film en demi-teinte qui insère habilement l'étrange dans la monotonie pour arracher la solitude de sa torpeur.