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Le mariage de Maria Braun de R.W. Fassbinder - 1978

Le mariage de Maria Braun de R.W. Fassbinder - 1978

Derrière le portrait d'Adolf Hitler, se cache une union qui vient d'être sacrée sous les bombes. Les pleurs d'un bébé entrecoupés des pleurs de mitraillettes. Hanna Schygulla en nouvelle Eve, en Lilith, en amazone, en Athéna, en anti-Schéhérazade. Elle ne séduit pas, elle ne raconte pas d'histoire, elle est, elle va de l'avant et ça la rend hypnotique. Les hommes manquent à l'appel, et les patates au lard, n'en parlons pas. Où est Hermann Braun? L'épouse en femme-sandwich incarne l'Allemagne année zéro. Chacun cherche son chat. Voilà un pays où règnent la veuve et l'orphelin. Des annonces sur les murs, pour des cigarettes, pour les soldats qui ne sont toujours pas rentrés. "Il est mort pour que vive l'Allemagne", et il est mort. Il est mort dans une crevasse. Pour Maria, Hermann est vivant, c'est sûr. Les tickets de rationnement, première humiliation après la défaite et la présence américaine. Se battre comme des chiffonniers pour un mégot de cigarette jeté par un GI. Dans les foyers on continue à fredonner les airs nazis. On vole les planches de bois pour se réchauffer, les femmes empilent les briques des maisons en ruine.

Mais le soir venu les femmes se font belles pour l'occupant. Plaire aux américains, voilà comment ne plus avoir faim. Le marché noir s'expose au grand jour, dans chaque ruelle. Une ligne noire tracée derrière la jambe pour tisser un bas. Bar américain, musique américaine, soldats noirs, entraîneuses allemandes obligées de se prostituer pour se relever.

Would you dance with me mister Bill?
My man is dead.

Mister Bill offre les repas copieux, les cigarettes, le confort retrouvé, un corps de substitution. Il console Maria et il console la conscience des autres. Elle ne l'épousera pas. Elle est enceinte. Il s'appellera Hermann.

Mais Il est revenu ! Pour Hermann, l'appel de la cigarette est plus fort que la faim. Maria a choisi, son coeur penche pour Hermann le mort-vivant. Mister Bill ne sera qu'une victime collatérale de sa survie. Hermann s'accuse du meurtre, elle va l'attendre une fois encore. Maria Braun va apprendre à travailler alors que l'enfant ne paraîtra pas. Toujours, elle va de l'avant sans larme ni regret. Elle voyagera en première classe sinon rien. Elle a appris l'anglais au lit, et ça lui sert à attirer un industriel français dans le train. Comme Mistinguett, son "cul est international". Son audace surpasse les actualités allemandes, moroses, qui tournent en continu dans les maisons. Son entreprise ne connaît pas la crise, pas de rationnement, pas d'inflation, plus aucun manque matériel. Tout ce qu'elle fait, elle le fait pour Hermann, elle est son "pied d'homme".

A l'image de l'Allemagne, son temps ne fait que commencer. On observe les grandeurs et décadences d'une fuite en avant. Les industriels ont survécu à la guerre, ils devront survivre à la paix. Maria Braun prend des risques, elle a le sens des affaires. Elle détricote l'ambiguité des relations économiques et politiques entre les anciens ennemis et les nouveaux alliés d'aujourd'hui.

Je suis une simulatrice née.
Le jour au service du capital, la nuit, un agent des masses laborieuses.
La Mata Hari du miracle économique.

Le bruit des grues, de l'Allemagne en chantier, l'Allemagne des grands travaux. Chez Fassbinder il n'y a pas d'allemand repentant, pas de sentiment, et c'est mieux pour l'économie. Ses allemands à lui son obsédés par la nourriture, les festins, la profusion et l'ascension d'une nouvelle bourgeoisie sans souci. Place aux plaisirs charnels ! Maria n'est pas rêveuse mais elle fait des miracles. Sa soeur espère encore et voyez où ça la mène, elle est aigrie. Maria, elle, se sert souvent de son corps pour soumettre les autres et imposer sa supériorité, amorale. Elle est froide parce que le monde est une chose sans âme. Ce qui la maintient debout c'est quand même son amour intact pour Hermann, qui n'est peut-être pas à la hauteur de ce dévouement.

Hermann est parti, il a préféré l'argent. Elle s'est éteinte, embourgeoisée. Monsieur Oswald est mort alors Hermann peut revenir. Le temps d'une journée, elle devient une femme d'intérieur. Elle n'a plus de raison de se battre. Ils n'ont été mariés que le temps d'un après-midi et d'une nuit après tout. Pour le grand final elle met sa robe de mariée. Elle lui a donné sa vie. C'est terminé. L'Allemagne est championne du monde de football. Il suffisait d'un ballon rond pour cimenter la nation Allemande. L'Allemagne est victorieuse ET amnésique. Maria Braun incarne cette Allemagne schizophrène d'après-guerre. Purement matérialiste et purement idéaliste.

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