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The Lobster de Yorgos Lanthimos - Prix du Jury à Cannes en 2015

The Lobster de Yorgos Lanthimos - Prix du Jury à Cannes en 2015

Au royaume des aveugles, le homard serait-il roi? Jusqu'où peut-on aller par amour? Pire encore, jusqu'où peut-on aller pour ne pas vivre seul?

Visiblement, le réalisateur de Canine a encore une dent contre la disparition programmée de l'individu face à une société cannibale. En 2009, le grec signait un manifeste des plus alléchant contre l'illusion du libre-arbitre. Rien est inné, tout relève de l'acquis. A qui? Aux parents qui peuvent faire le choix de réinventer le sens des mots, d'exclure leurs enfants de la surface du raisonnement et décider qu'un chat n'est pas un chat mais une bête féroce. Avec the Lobster, les animaux sont encore des souffre-douleurs mais c'est le couple et non plus la famille qui prend du plomb dans l'aile.

Dans cette dystopie (mot qu'il est toujours bon de savoir placer pour briller en société), également appelé contre-utopie, un Colin Farrell vainement enlaidi vient de se faire lâchement lourder par sa femme qui lui préfère un autre myope. Qu'il aille se prendre une bonne cuite chez son meilleur ami me direz-vous. Non! Dans ce monde-là les gens roulent à gauche et la pluie est toujours battante mais nous ne sommes pas dans l'Angleterre de Ken Loach. Dans l'univers orwellien de Lanthimos, les veufs, les divorcés et les célibataires n'ont pas leur place. Ces êtres reconnus d'inutilité publique sont systématiquement arrêtés et envoyés dans un centre de réinsertion. Chacun de ces méprisables parasites doit impérativement ressortir en couple dans un délai de 45 jours sous peine d'être transformé en animal. Pourquoi croyez-vous qu'il y ait autant de chiens et de poneys?

Entre jeux solitaires et scènes de chasse à l'homme collectives, la vie amoureuse est une question de survie. Le célibat n'est pas tendre pour celui qui veut se mettre de la pommade sur le dos ou qui manque de s'étouffer avec une olive mal digérée. Le quotidien est là pour rappeler qu'on n'est jamais un être à part entière mais seulement la moitié d'un couple. A mesure que l'intrigue avance, Lanthimos devient un maître dans l'art de manipuler les questions théoriques avec du sang et des larmes. La violence des coups et le sadisme de la parade amoureuse ne trouvent d'écho que parce que la rétine du spectateur réclame le sacrifice pour imprimer la sauvagerie des entourloupes que l'on se fait à soi-même, jour après jour, pour plaire aux autres et jouer le jeu du pacte social.

Dans ce laboratoire artistique articulé par des situations absurdes, le cinéaste grec effeuille nos croyances et nos convictions les unes après les autres. Nous sommes comme démasqués par la nudité de l'acteur face caméra. La dichotomie fictive de Yorgos Lanthimos entre un état sauvage au poing levé et une servitude lasse en milieu industrialisé est aussi un moyen de diviser l'humanité entière entre les "sans coeur" et les guimauves.

Mais que serait ce coup de maître sans des acteurs prêts à se contorsionner et même à se laisser pousser la moustache? Nul besoin de rappeler que Colin Farrell a depuis longtemps dépassé sa période de rôles suspects dans des films encore plus suspects. Il est ce personnage déroutant et ambivalent de la voix hésitante jusqu'à son corps engoncé. Dans un rôle de femme de ménage, Ariane Labed (filmée ici par son conjoint) brille par un jeu physique et donne ainsi du volume à son personnage. Par contre, en révolutionnaire rigide et asexuelle, Léa Seydoux n'est ni solaire ni fade. On commence seulement à se demander dans quel film elle ne joue pas. Enfin, les seconds rôles sont tous troublants de vérité, sans exception. Ben Whishaw en boiteux pragmatique, Rachel Weisz en issue de secours et John C.Reilly en victime consentante sont autant de bases solides sur lesquelles le film repose.

Le réalisateur materne ses brebis errantes et accouche d'un nouvel ovni contre l'inquisition éthique de l'homme moderne dépourvue de morale. Cette puissante progéniture s'abandonne sans retenu de la part des acteurs et avec la maîtrise perfectionniste du cinéaste esthète pour dire la solitude abyssale qui sévit en chacun de nous. Malheureusement, dans le discours contre les entités socialisatrices, dans le montage et même dans l'avancée scénaristique, Yorgos Lanthimos s'auto-plagierait presque. On retrouve les mêmes mécanismes et les mêmes torpeurs que dans Canine et ce jusqu'au dernier plan.

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