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Baby Boy Frankie (Blast of Silence) de Allen Baron - 1961

Baby Boy Frankie (Blast of Silence) de Allen Baron - 1961

Regardez ce que le Père-Noël nous avait caché au pied du sapin depuis bientôt cinquante ans! Ce chef d'oeuvre oublié est à découvrir et à redécouvrir de toute urgence. Avec ce requiem pour un tueur, les scientifiques pourraient bien avoir mis le doigt sur le chaînon manquant entre Louis Malle et Martin Scorsese. C'est sans un sou qu'Allen Baron, illustrateur de bandes-dessinées sorti des Beaux-Arts, se donne le premier rôle pour ce thriller génial pourtant passé inaperçu. Comble de malchance, ce film aurait pu connaître un succès retentissant et une Palme d'Or s'il n'avait pas été présenté pour le festival de Cannes deux semaines trop tard. Ce n'est qu'en 2006 que ce trésor enfoui sous les catacombes du cinéma américain traverse l'Atlantique pour notre seul plaisir béat.

Baby Boy Frankie n'a connu que la solitude et le noir silence. Né de la douleur, dans l'écho des cris d'une mère qui l'a abandonné à la naissance, l'orphelin s'est toujours réfugié dans la haine et la colère. Devenu tueur à gage, il doit calmer les ardeurs de Troiano, un petit gangster devenu trop gourmand. Frankie ne se déplace pas sans la parfaite panoplie de l'homme louche : chapeau sur la tête, imperméable sur le dos, cigarette au bec et mystérieuse mallette à portée de gants. L'enfant de Cleveland doit prendre le ferry pour traverser la tempête new-yorkaise. La ville est engloutie par la neige, la ferveur de Noël et la bonne humeur des fêtes de fin d'année. Tout ça donne la nausée à notre troublant sosie de Robert de Niro. Le ton caverneux de Lionel Stander fait résonner la voix intérieure du taiseux Frankie Bono tout au long de cette mélodie funèbre. C'est cette narration si particulière, où la conscience s'adresse directement au personnage principal, qui retient d'abord l'attention d'un spectateur qui n'est pas au bout de ses surprises. Avec ce monologue inédit à la deuxième personne, chacun est à la fois dans la tête du tueur mais aussi en pleine filature de cette âme errante. Aussi, par cette voix qui tantôt sermonne, tantôt rassure, nous sommes tout autant mis sous tension dans la rareté des échanges. La claque visuelle n'en est que plus étourdissante. New-York tient certainement le premier rôle dans cette déconstruction psychologique où le voyou revit ses traumatismes de jeunesses au détour d'une gare ou d'un mur en béton. La foule l'oppresse mais sa solitude l'opprime. Seule une rencontre fortuite avec son amour de jeunesse laisse espérer une échappatoire, une issue de secours à l'encombrant destin qu'il s'est forgé. Mais il ne peut compter que sur lui et très vite, tout tourne mal. Celui qui se prend pour un envoyé de Dieu, pour le destin de Troiano, n'est jamais qu'un rat en cage dans une faune trop grande pour lui. Ce bijou qui revisite des forces contradictoires vaut aussi le détour pour le personnage de Big Ralphie (Larry Ticker), un complice complexe qui dégoûte Frankie par ses tarifs de luxe et son embonpoint. Mais le gangster à la voix douce et aux précieuses manières n'est pas "gras du cerveau". A la nuit tombée, il se déguise en homme de main, fait des démonstrations de force dans un double jeu de poings jeu de vilain. Le bras de fer peut commencer.

Pour ce premier film, Allen Baron réintroduit la dynamique d'Ascenseur pour l'échafaud (1957), son jazz endiablé et son énergie vorace, à l'ombre des quartiers sales de la ville qui ne dort jamais. Mais surtout, cet ovni expérimental à l'instinct visuel implacable, donne à voir la genèse de l'oeuvre d'un certain Martin Scorsese qui voue un culte à ce film de gangster à la figure christique. Ce n'est qu'en 1969 que l'italo-américain sortira son premier film, Who's That Knocking at my Door et reprendra en 1973 la rhétorique du vilain garçon pris entre son milieu et ses tourments expiatoires dans Mean Streets.

Baby Boy Frankie (Blast of Silence) de Allen Baron - 1961
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