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Les Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang - 1955

Les Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang - 1955

Enfant renié de Fritz Lang qui n'eût aucun droit de regard sur le montage final, Les Contrebandiers de Moonfleet impressionne pourtant par l'inventivité de ses plans, l'ambivalence de ses personnages et son point de confluence entre vestiges du romantisme et récit d'aventure. Cette adaptation du roman de John Meade Falkner se déroule au coeur de la guerre des Sept ans, en 1757 plus exactement. En ces temps difficiles, John Mohune (John Whiteley) n'en garde pas moins l'impétuosité des orphelins. Le garçon de dix ans n'a plus rien à perdre, si ce n'est sa paire de chaussures trouées par la marche et son inébranlable optimisme dans une Angleterre aussi aride qu'hostile. Ce fier descendant de la lignée des Mohune est prêt à braver l'hiver et les villages isolés pour retrouver un certain Jeremy Fox (Stewart Granger). Dans sa dernière lettre, sa mère lui a intimé l'ordre de retrouver le seul homme en qui elle avait confiance. Mais force est de constater que cet ancien amant n'est rien de plus qu'un libertin doublé d'un contrebandier au regard foudroyant et à l'épée aiguisée. Dès leur première rencontre, l'humeur glaçante de l'impitoyable bienfaiteur désigné n'altère en rien la confiance du jeune John. Bien au contraire, c'est avec de grandes espérances que l'enfant va se donner corps et âme à son "ami". Parviendra-t-il à gratter le vernis de cette dureté apparente?

Avec ce scénario classique sur la vengeance, la trahison et les chasses au trésor, Fritz Lang renouvelle le langage du genre avec des plans subjectifs, une profondeur de champ insolite et aussi, avec ce premier budget Hollywoodien il se permet un essai réussi en Technicolor. Surtout, ce qui tranche dans le vif, c'est la dualité du récit. Le réalisateur propose, sans aucun manichéisme ni relativisme, une histoire à deux voix. Un enfant optimiste apprend la rugosité et l'adversité des rapports de pouvoir qui régissent les relations humaines. A l'inverse, un adulte ravagé par la maladie d'amour, la nostalgie et l'amertume, parvient à réenchanter son monde jusque-là fait d'alcool, de violence et de femmes faciles. Aussi, les personnages secondaires, les villageois en particulier, ne font que renvoyer à l'héroïsme latent de ces figures anti-héroïques. Cette masse est aussi lâche et arriérée que ce duo improbable a l'audace de ses convictions. John devrait se noyer sous un angélisme démesuré et inconscient quand Jeremy, le brigand à col blanc, est voué à se vautrer dans un luxe d'apparat et une cruauté auto-satisfaite. Ajoutons que Fritz Lang brouille les pistes avec les illusions du récit fantastique. Les symboles visuels de l'ésotérique, de la superstition et d'une croyance en la résurrection des morts sont autant d'éléments empathiques qui nous associent aux villageois. Mais très vite les masques tombent, le magicien Lang dévoile le tour de passe-passe pour nous ramener à la triste réalité de la contrebande et de ses secrets bien enterrés. Enfin, la violence hante chaque scène de cette relation père/fils qui ne dit jamais ouvertement son nom. C'est l'anarchie de la monarchie, les derniers espaces où l'armée du Roi ne s'ingère pas, l'appât du gain, l'orgueil et l'instinct du jouisseur qui forcent l'entrée du côté obscur de notre goujat repentant. Voilà une fable haletante, certes teintée de morale chrétienne, qui vaut la peine d'être appréciée avec délectation, ne serait-ce que pour la vision cauchemardesque et tronquée du pendu. Surtout, en cas de grand froid et de petite chaleur, il est toujours bon de se pelotonner dans un bon vieux classique.

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