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Faces de John Cassavetes - 1968

Faces de John Cassavetes - 1968

De visage en visage, tous les personnages de Cassavetes se sont passés le mot pour dire toute la complexité du couple, le temps d'une nuit ou d'un mariage raté. Tout commence avec ce ronchon de Mister Forst. Les regards complices de ses trois assistantes nous laissent penser que c'est une habitude chez cet homme d'affaire pressé d'être passablement exécrable. Mais très vite, la salle de travail s'agite. Tous les collaborateurs de l'assureur sont bien installés dans leurs sièges pour assister à une projection. Que de mise en abîme avec cet écran qui s'ouvre sur "Faces". Loin des plateaux d'Hollywood et d'une vie de famille sans haine et sans reproche, Cassavetes décompose le couple derrière la façade. Dans l'entrebâillement d'une cuisine, au pied du lit conjugal, le cinéaste, caméra au poing, accumule les inserts et les plans courts pour capter les expressions qui trahissent le profond chagrin d'un mari ou l'ennui d'une épouse. Régulièrement, Dickie Forst fuit le domicile conjugal dans les bras de Jeannie Rapp (Gena Rowlands), une voluptueuse call-girl au coeur d'artichaut. Par-delà le commerce de leurs corps, une véritable tendresse et de brefs sentiments jaillissent de leurs étreintes. Surtout, cette relation hors normes et hors du temps, met en lumière les rapports hommes/femmes en ce que chacun use et abuse de ses charmes pour faire illusion. L'une se pare de faux cils, les autres se battent comme des coqs ou rivalisent de bons mots pour prouver leur virilité. Le cinéaste de l'intime s'attarde aussi sur l'autre versant du couple et réinvente ainsi le point de vue féminin.

Que se passe-t-il du côté de l'épouse bafouée, menacée par l'imminence du divorce? Avec irrévérence et non moins de lucidité, Cassavetes nous rappelle que la femme est un homme comme les autres. Maria (Lynn Carlin), aussi, sort dans la moiteur des soirées endiablées par le jazz survolté et une jeunesse décadente. Avec ses trois amies, tout autant desperate housewives, elle s'encanaille et jette son dévolu sur un certain Chet (Seymour Cassel) qu'elle ramène chez elle. Chacun de son côté refait le monde l'espace d'une étreinte et de quelques mensonges, dans les bras d'un plus jeune et plus frivole que lui, et se prend à rêver d'un quotidien moins monotone. Mais dans ce spectacle de l'ivresse expiatoire, personne n'est dupe, pas plus la maman que la putain. Tous se vivent comme des automates incapables de faire preuve de faiblesse face à l'autre. Avec ces personnages grandiloquents, aux éclats de rire contagieux, stéréotypés : l'homme puissant en pleine crise de la quarantaine, la femme au foyer délaissée, la petite vertu au grand coeur et le Don Juan sans complexe, Cassavetes décortique à la façon d'un entomologiste les premières rides de "l'amour toujours". Contre la tradition d'un bonheur aussi bête que béat, Cassavetes va plutôt chercher du coté de la Beat Generation (Shadows en est l'exemple le plus flagrant). Pour lui, les sentiments les plus indéfectibles réclament rugosité, théâtre et violence mais jamais de coup ni de grossièreté.

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