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Loves Streams de John Cassavetes - Ours d'Or 1984

Loves Streams de John Cassavetes - Ours d'Or 1984

Le teint cireux et la mine grave, John Cassavetes hante cette oeuvre testamentaire d'un homme qui se sait malade. Tourné dans les mêmes conditions que Faces (1968), Love Streams investit à son tour la maison familiale des Cassavetes, écume une fois de plus tous les excès de Gena Rowlands et renvoie chaque personnage à un appétit d'amour jamais assouvi. Mais cette fois, un style plus académique remplace la caméra à l'épaule, comme pour donner du contraste à des personnages vacillants.

Ecrivain à succès mais en mal d'inspiration, Robert Harmon (John Cassavetes) est un insatiable homme à femmes qui n'hésite pas à se payer les services d'une horde de prostituées pour quelques nuits. Notre triste oiseau de nuit se perd régulièrement entre whisky et milieux interlopes pour ne surtout jamais être seul. Dans cette orgie quotidienne de plaisirs qui l'ont rendu indifférent à presque tout, une sonnerie va peut-être le sortir du brouillard alcoolisé. Derrière la porte se trouve son fils, cet étrange inconnu de 9 ans. Le temps d'un week-end à Las Vegas il va donner le meilleur de son rôle de père. C'est-à-dire pas grand chose. Aussi, une femme à son image, perdue et désabusée, débarque chez lui un samedi matin. Sarah Lawson (Gena Rowlands) n'est autre que sa soeur. Sujette à des crises psychotiques, elle est une mère ultra-possessive, une amoureuse excessive qui vient de signer les papiers du divorce avec un Seymour Cassel tout en moustache longue et silences circonspects. Convaincue que l'amour est un flux irrévocable, un courant qui déchaîne son énergie sans possibilité de retour, elle ne peut se résoudre à ce que sa fille de 13 ans la déteste et que son ex-mari ne ressente plus rien pour elle.

De cette fratrie décharnée, ne ressort qu'une profonde amertume. Chacun est seul à en crever mais aucun n'est prêt à céder le moindre bout de vie. Ne cherchez pas à savoir pourquoi. Chez Cassavetes, vous ne trouverez jamais d'approche freudienne ni de thérapie de groupe. Les personnages errent et se déchirent au seuil d'un abîme abyssal, mais toujours en smoking et une coupe de champagne à la main. L'obsédé des femmes a la mélancolie élégante quand la déesse à la folle chevelure se convainc qu'un sourire suffit à s'attirer la tendresse du monde. L'un est à la recherche d'un plaisir fugace quand l'autre, qui se refuse à toute sexualité, court après le grand amour à chaque coin de rue. Ces anges déchus sont condamnés à ne pas percer le secret des gens heureux, de ces enfants et des ces vieillards qui n'attendent rien d'autre que ce qu'ils ont, de ces femmes belles qui ne craignent pas de rétablir l'équilibre des relations en avouant un défaut malheureux. Alors pourquoi ne pas acheter l'amour d'un être vivant? Pourquoi ne pas inventer une nouvelle Arche avec des animaux aussi libres et incontrôlables que des love streams?

Que se passe-t-il quand l'amour est trop fort? Pour Sarah, les rêveries d'une âme solitaire réparent les blessures de ces "torrents d'amour". Pour le cynique Robert Harmon la vie n'est qu'une suite de divorces, d'enterrements, d'espoirs déçus et d'enfants bousillés. Mais le spectateur n'en croit pas un mot. Dans un dernier élan amoureux, Cassavetes habille Gena Rowlands d'une lumière solaire enveloppante, caresse son jeu d'actrice de plans serrés et ose créer un contraste frappant avec son propre rôle. Lui, en écrivain imbibé du matin au soir, il est la part d'ombre du film. Se voyant déjà de l'autre côté, le réalisateur s'enfonce dans les ténèbres, à l'ombre d'une maison remplie des photos des femmes de sa vie, quand le personnage de Rowlands s'aventure dans les rues couleurs pastel de Los Angeles. Enfin, comme une dernière étreinte, Love Streams est un manifeste pour le contact, quel qu'il soit. Câlins maladroits, franches parties de jambes en l'air, coups de poings, regards complices et pudiques déclarations d'amours sont à l'honneur dans cet Ours d'Or qui cristallise toute l'oeuvre du cinéaste des relations complexes.

Loves Streams de John Cassavetes - Ours d'Or 1984

Steve Mc Queen s'est largement inspiré de cette trame scénaristique pour son deuxième film. En 2011, Shame suggère une relecture plus frontale de cette fratrie émiettée par un corps dissolu. Michael Fassbinder, acteur fétiche du cinéaste, interprète un obsédé sexuel accro au porno et aux relations moyennant finances. Incapable de nouer la moindre intimité avec une femme, il s'enferme dans ses pulsions jusqu'à ce que sa soeur Sissy (Carey Mulligan) débarque dans son appartement new-yorkais. Comment va-t-il contenir les appels du corps et cacher sa nature profonde? A l'inverse, Sissy est dépendante de ses sentiments. Elle s'offre sans trop d'hésitation dans l'espoir que chacune de ses conquêtes finisse par l'aimer d'amour tendre. Ces deux paumés sont davantage l'occasion pour Mc Queen de filmer une pathologie, un secret précieusement gardé, plutôt que de s'attarder sur le besoin viscéral d'amour si cher à Cassavetes. Pour autant, le réalisateur de Hunger confirme son ambition esthétique et ce talent pour subtiliser au réel tous les attributs dramaturgiques d'un héros malheureux.

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