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Gloria de John Cassavetes - Lion d'Or 1980

Gloria de John Cassavetes - Lion d'Or 1980

Gloire à toi Ô Gena! La muse et épouse de Cassavetes se voit confier l'un de ses plus beaux rôles par le réalisateur de la famille et de l'irrépressible amour. Le cinéaste anti-système commet là son premier écart. Il écrit ce scénario commandé par la MGM et tournera Gloria pour les studios de la Columbia. De ce détour par les gros budgets d'Hollywood, Cassavetes parvient pourtant à signer une oeuvre intime pétrie des crimes et des bas-fonds de sa ville de prédilection. Dès la première scène, le cinéaste nous en met plein les yeux avec cette séquence muette sublime de suggestions hitchcockiennes. Sans un mot, la caméra dit tout de New-York, de la peur sans visage qui anime cette mère de famille. Dans un immeuble décrépi de Brooklyn, Jeri se presse de prendre l'ascenseur pour enfin rentrer chez elle. La tension palpable culmine. Que fuit-elle? La moiteur étouffante de l'été? Les bus bondés? Les klaxons? Dans ce climat délétère, ce que son mari et elle ont déjà compris c'est que la mafia allait sonner à la porte d'une minute à l'autre. Comptable pour le parrain local, Jack vient de dénoncer tous ses collègues au FBI sans avoir oublié de noter toutes les transactions conpromettantes sur un précieux carnet. Et dans cette ville-monde aux murs tagués, le moindre mot en trop signe votre arrêt de mort. La sonnette retentit.

La porte s'ouvre sur Gena Rowlands, sublime en Ungaro tout au long du film. Malgré son air bourru et sa démarche virile, des traits fins et une chevelure à la Rita Hayworth font tomber le masque du garçon manqué. Dans ce quartier métis happé par l'engrenage de la violence, elle arrive comme un cheveu sur la soupe dans ce carnage annoncée. Gloria était à court de café, elle se retrouve avec un garçon de six ans sur les bras. Phil sera le seul survivant d'un massacre pour l'exemple. En fuite dans les rues de New-York, Gloria, l'ancienne gloire des voyous, va devoir changer de camp pour protéger ce gosse de malheur à la langue aussi tranchante qu'elle. Cette nounou forcée a la gâchette facile mais ce qui la paralyse, ce sont les œufs au plat. Les gestes maternels n'ont rien de naturel pour elle. Pourtant Phil, enfant difficile, et pour cause, va l'apprivoiser et se laisser séduire par la dureté de l'ancienne call-girl solitaire mais loyale. C'est toujours un sac à la main, en tailleur de créateur et en talons hauts qu'elle élimine sans une hésitation tous ceux qui sont missionnés pour en finir avec le gamin. La menace est au coin de la rue, au pied de l'hôtel, à la sortie des taxis mais jamais Gloria ne vacille. Dans cette fuite en avant, les gestes de mère transparaissent d'un verre de lait à l'instinct de protection qui va naturellement jusqu'au meurtre. L'un et l'autre grandissent au contact de l'autre. Dans une combativité et un acharnement de tous les instants, Gloria se surprend à incarner ce qu'elle méprisait, ou tout du moins ce qu'elle ne soupçonnait pas. Toute cette étrange dualité résonne dans les effets de miroirs qui se multiplient autour d'elle. A chaque moment de solitude, de vacillement, son reflet est là pour lui redonner de l'énergie.

John Cassavetes se montre plus académique avec ce drame à la trame classique, écrit comme un thriller aux mutliples rebondissements. Les plans serrés de Shadows et de Husbands sont bien derrière lui. Il ose les travellings et les plans larges. Toujours dans le bourdonnement de la ville qui suinte, il n'a rien perdu de son énergie insolente. La fulgurance des dialogues est intacte pour rendre compte de la performance de ce duo au charme fou. Gloria est probablement l'une des histoires d'amour écrites pour le cinéma. Entre le lit dévasté, les éclats de voix et les ultimatums, Cassavetes décrit la montée en puissance de sentiments indéfectibles davantage comme une relation conjugale que comme une relation mère/fils. Souvent, ils se disent des mots tendres comme des enfants qui voudraient rejouer les films noirs de Bogart. Mais personne n'est dupe, ils se cachent derrière des grands standards du dialogue amoureux ("T'es une chic fille mais t'es pas pour moi, tu me suffis pas","avant toi je ne connaissais rien", "Je t'aime Gloria! Je t'aime à en mourir") pour cacher la nouvelle filiation qui leur colle à la peau et dont ils ne pourront plus se défaire.

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