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Amour Fou de Jessica Hausner - 2014

Amour Fou de Jessica Hausner - 2014

Pour son troisième long-métrage, la cinéaste autrichienne s'invite dans la mélancolie morbide du poète Heinrich Von Kleist, alors habité par l'idéal du sacrifice romantique. A l'aube du XIXème siècle, le Berlin bourgeois est encore retourné par son voisin Français et ses Sans-Culottes qui s'entêtent à étêter les têtes couronnées. Alors le Saint Empire romain germanique s'empresse de faire voter l'impôt pour tous à défaut de la liberté pour chacun. Mais qu'importe puisqu'une autre révolution est en marche. L'esprit bouillonnant du sulfureux auteur de la Marquise d'O... cherche désespérément son âme sœur. Non, il ne s'agit pas d'un énième mélo tourné en tenue d'époque. Bien au contraire! Le jeune aristocrate sans le sou, aussi égoïste que névrosé est simplement obsédé non pas par la mort mais par sa mort. Trop lâche pour en finir dans son coin, comme la petite fille aux allumettes, il préfère se bercer d'illusions et part à la recherche de celle qui voudra mourir avec lui, par amour pour lui.

La scène se passe dans le décor des rêves prémonitoires de Twin Peaks. Les épais rideaux de velours rouge, un sol en damier et une table bien garnie abritent ce dîner mondain où l'ennui rivalise avec la lassitude des gens repus. Entre la poire et le fromage, l'énigmatique Kleist propose un pacte de suicide à sa fiancée Marie. Etrangement, elle refuse. Piqué dans son orgueil, il trouvera une autre pomme prête à vivre avec lui l'expérience la plus étourdissante et certainement la plus irréversible qui soit. C'est là que sa cousine à l'âme plate intervient. Comme immaculée, elle ne s'émeut de rien mais a un avis sur tout. Cela suffit à Henriette (Birte Schnoeink) de ne rien faire d'autre que de s'occuper d'un mari complaisant et d'une fille invisible. S'interdisant la moindre fausse note, appartenir à son mari est son plus cher devoir. A quoi bon la liberté? Il n'y a certes pas d'amour mais un confort certain dans cette maison bourgeoise où chaque plan est une peinture vivante. La vertueuse épouse se cache constamment derrière les convenances, derrière les fleurs ou à l'ombre d'une chambre conjugal à deux lits. Très vite, les cousins se voient régulièrement. Chacun est désespéré sans jamais avoir les mots pour le dire. L'oiseau en cage se voit très vite rattrapé par des problèmes de santé. Quelle aubaine pour Kleist qui semble lui avoir inoculé son mal-être! La mourante imaginaire pourrait bien se laisser tenter par une fin flamboyante. Il faut une sacrée dose d'ironie et d'absurdité au projet de Hausner pour nous enthousiasmer avec tant d'austérité. La théâtralité des situations tranche avec la luxuriance sans fioriture ni papier peint de la forêt. Comment peut-on encore se suicider devant pareille beauté?

D'ailleurs, l'esthétisme de ce film est d'autant plus glaçant que la philosophie de boudoir de cette élite intellectuelle est creuse. Les corps disparaissent derrière la rigidité du texte, l'exiguité des pièces surchargées de couleurs et l'étroitesse des vérités assénées. Tous les acteurs parviennent à jouer naturellement les gammes d'une langue artificielle. Dans cet enfermement consenti, chacun se laisse happé par les murs criards et les petits espaces. Christian Friedel, qui avait déja joué plusieurs pièces du poète, brille dans ce rôle d'instituteur immoral. Aussi, l'Autriche, l'acteur et le sujet nous rappellent nécessairement un certain Haneke. Pensez aux détails de cette morbidité non-verbale, des actes insensés sans retour possible, l'absurdité du projet. Depuis plusieurs années, l'idée d'un double suicide qui n'en serait peut-être pas un trottait dans la tête de Jessica Hausner. Ce qui devait partir d'une rencontre par internet a finalement pris corps dans ce fait divers qui déconstruit, non sans ironie, un romantisme dépourvu de sensualité. Par ce seul suicide, Kleist a tenté de raviver la flamme d'un amour fou. Mais par cette fin sans moyen, la vacuité de cette obsession crève les yeux. Par la mort il tente d'inventer l'amour. En vain! Même ce dernier geste tourne au ridicule.

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