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Les envolées acides de "La Mouette", revue et renversée par Ostermeier

Les envolées acides de "La Mouette", revue et renversée par Ostermeier

Petit écart à nos habitudes, nous quittons les salles obscures pour nous jeter à corps perdus dans le dernier coup d'éclat du génial Thomas Ostermeier. Le metteur en scène Allemand frappe fort avec cette folle adaptation de la pièce de Tcheckov.

C'est par écran interposé que j'avais eu jusque-là la chance de suivre la fièvre et la rage des créations de l'enfant terrible des planches pourtant habitué du Festival d'Avignon. Serviteur acharné des dialogues implacables de Shakespeare, Thomas Ostermeier s'est pris de passion pour l'autre auteur incontournable. Fini les conspirations et les intrigues de pouvoir. Plus de sensualité mortifère non plus.

Cette fois, le metteur en scène s'accroche à la mélancolie et l'amertume silencieuse de ses personnages, plus comédiens encore que leurs interprètes. La magie opère sur tous les pans de la scène. Ostermeier s'autorise à briser le quatrième mur, à illuminer le public, à l'interpeller pour que lui aussi s'insurge contre le théâtre et ses codes. Même les murs, progressivement devenus le prétexte à des estampes japonaises, crient leur envie d'ailleurs, de fiction.

En trois actes et deux heures trente, neuf comédiens de talent réinventent les amours déçues de Konstantin avec Nina. Le jeune dramaturge ambitieux se frotte à une mère intraitable, diva vieillissante, et se pique à son beau-père, auteur médiocre à succès devenu gigolo. Ce dernier lui pique sa belle, jeune comédienne naïve et aussi légère que ses robes transparentes. Ces détours de l'âme humaine disent l'éternelle lutte entre les anciens et les modernes, les jeunes pessimistes et les vieillards nostalgiques. A quoi bon vivre ces jours médiocres? La mouette, aussi libre soit-elle, peut très vite être abattue par le premier homme venu. Commet toujours chez Tcheckov, les personnages sont amers mais figés dans leurs regrets.

Les envolées acides de "La Mouette", revue et renversée par Ostermeier

Vous aurez des impressions de digressions, d'aparté. Vous croirez même que les comédiens ne sont que des citoyens qui improvisent. Mais ces illusions de marteau sans maître ne sont que le fruit d'une collaboration étonnante entre le metteur en scène et ses partenaires. Pour reprendre le Guépard de Lampedusa, "il faudrait que tout change pour que rien ne change".

Regardez donc "Thomas Ostermeier, insatiable théâtre". Ce court documentaire vous permettra de percevoir les méthodes de travail de l'affamé acharné. A la manière du cinéaste Iranien Ashgar Farhadi, il impose une certaine promiscuité à ses acteurs. Les exercices se multiplient pour que chacun revive dans la pièce, aussi classique soit-elle des moments de vie intime.

Voilà alors qu'une fois sur scène, après des mois de répétitions, le texte façonné, retravaillé à l'infini, jaillit avec un naturel qui fait perdre au spectateur sa lucidité et sa capacité à différencier la fiction d'un possible "happening".

Les assertions moqueuses sur le métier de metteur en scène, l'ironie d'une lecture de Houellebecq sur ce que serait devenu l'Occident et les badinages sur l'actualité en Syrie finiront de vous convaincre que c'est tout de même quelque chose à vivre le théâtre d'aujourd'hui.

A défaut de vous proposer la virtuosité de la pièce russe, je vous laisse avec la langue acérée de Shakespeare et le jeu démoniaque de Lars Eidinger en Richard III.

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