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Timbuktu d'Abderrahmane Sissako - 2014

Timbuktu d'Abderrahmane Sissako - 2014

Une gazelle en plein désert, traquée par des extrémistes religieux. Une jeep mène ces chasseurs de l'extrême, leurs kalachnikov et leur drapeau noir. A Tombouctou, on fatigue, on épuise et on tire sur les masques ancestraux comme on tire un trait sur le passé. Le paysage est défiguré, un souffle émane de la figurine comme un esprit sacré en fuite. On méprise le divin au nom du divin. Les corps de bois sont inertes, transpercés par les armes des nouveaux vainqueurs. Tout de suite, on sait que les paysages de Sissako, son sable, ses roches et ses arbres sont plus grands que les desseins des hommes enturbannés. Il est interdit de fumer. La musique est interdite. Comme quoi croire c'est ne pas pouvoir. Croire c'est imposer par la force. La Police islamique impose gants et voiles aux femmes. Les nouvelles lois sont intrusives et façonnent les corps jusqu'à ce qu'il deviennent assez invisibles. L'idéal serait que ces corps disparaissent pour que disparaisse l'humanité sous le voile.

La lumière est éclatante. A l'ombre de la mosquée il n'y a plus de place pour les armes. Les plans panoramiques sont autant de visions oniriques qui nous rappellent l'harmonie qui règne lorsque le pêcheur pêche, lorsque le berger fait pâturer ses vaches. Sissako nous parle d'un temps que nous ne pouvons pas connaître, celui de l'hédonisme, de la fusion de l'homme avec la nature. Émergent les douceurs du bonheur familial dans un monde où les frontières sont tacites, chacun vit en bon voisinage, sans jamais exploiter, duper, imposer.

Une vendeuse sur le marché s'insurge contre le port des gants. L'imam du village n'a pas le temps pour le jihâd des autres, il s'occupe déja de son propre perfectionnement moral. Où est le pardon? Où est la piété? Où est l'échange? Une deuxième femme flamboyante, une mère qui se lave les cheveux, une troisième femme flamboyante, l'excentrique, la marginale aux robes longues et au coq glorieux qui sort un franc et massif "connards" aux trois hommes armés qui tergiversent sur un autre conflit international : la lutte entre le PSG et le Barça.

Stop! Stop! le chef armé ne peut pas avoir Satima, la femme du berger, la musulmane à la chevelure sensuelle, l'inaccessible, alors à bas le buisson! Oui, vous voyez, ce petit petit buisson maigrelet entre deux dunes, cette verdure entre deux cuisses. S'il ne peut pas toucher la grâce, personne ne doit plus y avoir droit. Sa frustration, son impuissance se déguise en pulsion de mort, en tyrannie puérile mais non moins tragique. La population a fui, il ne reste plus que nos trois Candide et leurs vaches. Une seule liberté vous manque et tout est dépeuplé.

Ciel! De la musique! Tous les soldats se dispersent pour trouver l'origine de ce chant de sirène. L'heure est grave, une seule note de musique et c'est toute la société qui s'effondre. Même s'il s'agit de louanges à Dieu et son prophète?

Une guerre couve entre le petit berger, ses vaches qui traversent le fleuve et le pêcheur qui vient de poser ses filets. Sans réfléchir, il abat GPS, la vache préférée du berger. Il n'était pas là, il ne comprend pas ce geste, alors le berger se rend chez Amadou, le pêcheur, arme à la main, pour négocier, palabrer, s'expliquer. Finalement, il y a de l'orgueil et de la violence dans toutes les fissures du monde.

Un ballon abandonné, rebondit sur les marches, prend les virages comme un grand. Où est sa mère? Où est son père? La police islamique mène l'enquête. Vingt coups de fouet pour le coupable désigné. Et puis la scène la plus tristement poétique du film. Buster Keaton et ses deux équipes jouent au football sans ballon. On laisse passer l'âne avant de faire un penalty, on siflle les fautes ... et but!

Et pan! sur le poissonnier. L'eau du fleuve ne lavera pas le péché mortel, mais permet un plan panoramique somptueux. Le berger fuyant sa proie, l'homme agonisant comme un poisson hors de l'eau. Un qui se relève, l'autre qui s'écroule, deux vies foutues en l'espace d'une pulsion, d'un tir, d'un moment de faiblesse.

Trois musiciens, une chanteuse et pshittt, dix secondes de liberté. 80 coups de fouet pour celle qui subit en chantant.

Le prix du sang, 40 vaches et le pardon de la famille d'Amadou. Voilà la justice de Dieu si l'éleveur veut rester en vie. Aucun des jihadistes n'est malien, aucun ne parle les langues locales. Ils parlent arabe, français, un peu d'anglais, viennent de Libye, d'Algérie mais parviennent toutefois à juger ceux de Tombouctou avec paternalisme et assurance d'être dans leur bon droit. Mais il fut un temps où les hommes armés n'étaient que des hommes tout court. Ils fument encore, ils dansent parfois et souvent ils se laissent séduire. Alors, si on ne leur donne pas tout tout de suite ils arrachent, ils prennent le Coran et jurent que c'est juste. Si on refuse, ils n'ont d'autre choix que d'utiliser la force, la force armée de la charia, la force de la loi islamique réinterprétée selon les circonstances et leur bon vouloir. En toute légalité. En toute légalité on tire sur le dernier élan, la dernière étreinte des deux amants, en toute légalité on laisse une orpheline fuir.

Comme dans My Father, My Lord plus on prétend se rapprocher de la foi plus on s'éloigne de la vie, jusqu'à justifier la mort.

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