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Aprile de Nanni Moretti - 1998

Aprile de Nanni Moretti - 1998

Mamma Mia! Nous sommes le 28 mars 1994. Les élections législatives viennent d'adouber Berlusconi à la tête de l'Etat Italien. Le présentateur du journal télévisé d'une chaîne appartenant au Cavaliere se félicite de la victoire de son courageux et fidèle ami, seul contre une presse qui s'est acharnée contre Silvio le Conquérant. Scène de fiction ou troublante réalité? C'est ce que se demandent Giovanni Moretti et sa mère devant ce véritable extrait propagandiste réalisé sans trucage ni effets spéciaux. Après le succès de Journal Intime (1993), le cinéaste persiste et signe dans la vertigineuse expérience de l'autofiction. Le militant de gauche renouvelle l'exercice introspectif pour tenter de comprendre comment l'Italie a pu voter pour Ubu Roi.

Aprile est d'abord le dévoilement de la consternation d'un homme. Atterré, il ne voit pas d'autre solution que de fumer un gros pétard. Mais ça ne suffit pas. Alors il essaye de reprendre son grand projet de comédie musicale sur un boulanger trotskiste dans un village acquis à la cause de Staline. Mais ça ne suffit toujours pas! Sur les conseils d'un journaliste français il va prendre le problème à bras le corps et faire un documentaire documenté sur la prochaine élection législative. Mais entre-temps, une autre question de pose. Fille ou garçon? Giovanna ou Pietro? En effet, le cinéaste résistant parti en croisade est sur le point d'être papa. Silvia Nono, sa femme, doit le soutenir, le rassurer. Et si elle pouvait retarder son accouchement de quelques semaines pour lui laisser le temps de terminer son prochain film, ce serait encore mieux. L'égocentrique engagé se surprend à être de moins en moins enthousiasmé par la politique, mais est galvanisé par les chaussons en laine tricotés avec amour par sa maman. (Notons que toute la filmographie de Moretti montre un intérêt suspect pour les chaussures.) Ce documentaire est un devoir, une obsession dont il se lasse vite.

Pourtant, il découpe, redécoupe, colle et assemble tous les articles qui relient la complaisance des journalistes à l'omnipotence du Pacha au pouvoir. Dans ce harem d'intellectuels, tout se confond dans ce que Moretti appelle un seul et même journal. La presse rend fou l'homme pressé de changer le monde. De cette réalité implacable il s'en fait des couvertures comme pour s'effacer sous cette montagne de désinformation. Toutes les revues passent sous ses ciseaux comme pour écorcher vif une Italie amnésique. De cette mémoire courte il se raccroche encore et toujours au cinéma. Comme un dernier rempart contre ce qu'il ne comprend pas, tous ses films disent son histoire d'amour avec le septième Art. Dans un jeu de mise en abîme, ces rendez-vous visuels sont tantôt moqués (surtout les films américains) tantôt vénérés mais restent le dernier refuge d'un citoyen à bout de souffle.

Quelle torture que cette campagne! Le chef du gouvernement détient donc trois chaînes de télévision. Il défend le peuple italien qui travaille contre l'Italie qui bavarde. Il applaudit le peuple italien qui vote juste malgré les mensonges des journalistes et des juges? Le discours de Berlusconi ne vous rappelle personne? Ce film qui a bientôt 20 ans semble traverser le temps et les frontières.Voilà un président pas démagogique pour un sou qui veut travailler plus pour gagner plus de mandats. Mais pire encore, Moretti est indigné par l'indifférence de la gauche, son effacement et son manque de combativité. Il n'est pas tendre avec son parti qui s'acharne dans un mutisme passif. Tout au long du film, le spectateur est mis en position non pas de simple observateur mais de voyeur. Entre zoom avant prodigieux et champ/contre-champ audacieux, Moretti nous ballade dans le labyrinthe de ses sensations et de ses souvenirs. Il filme pour lui, pour ne pas oublier la tendresse de sa mère, la naissance de son fils, son indignation face aux premiers migrants morts sur les côtes italiennes. Dans ce petit film aux grands éclats, l'intime flamboyant est toujours le contre-point de l'actualité d'une politique vacillante qui s'acharne à désenchanter le monde.

Avec Aprile, Moretti, optimiste en herbe, renouvelle le rapport pére/fils. Il s'autorise un peu de répit dans cette relation qu'il a toujours décrite comme conflictuelle. L'incommunicabilité des films précédents s'efface dans un jeu de miroir pour dire que le fils est devenu père. Quand l'enfant paraît, l'absence politique et humaine de la gauche n'a plus aucune importance. Dans un nouveau rapport au temps, une nouvelle urgence se dessine. Désormais il ne filmera que ce qui lui plaît. Le lonesome cow-boy est maintenant un père de famille qui crie victoire pour la naissance de son fils au moment de l'élection de la gauche. Aprile, c'est le début du printemps, le renouveau.

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