Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Journal intime (Caro Diario) de Nanni Moretti - 1993

Journal intime (Caro Diario) de Nanni Moretti - 1993

Ce que Nanni Moretti préfère le plus au monde, c'est arpenter les rues de Rome à bord de sa Vespa. Nous, ce qu'on aime le plus au monde, c'est de voir le "splendide quadragénaire aux idées justes" s'aventurer, enfin, dans les dédales de l'autofiction. Alors en trois chapitres saisissants, Nanni Moretti se livre avec pudeur et insolence comme pour conjurer le vilain tour que lui a joué son lymphome de Hodgkin. Trois mots suffiraient à faire tomber le masque de l'ironiste en chef? Vespa, îles, médecins.

D'abord écrit noir sur blanc, le journal trouve très vite sa musicalité dans la voix rythmée, si particulière, du cinéaste. La mise en abîme va jusqu'à mettre en scène l'oralité de sa vie privée. Là, les passants auxquels il raconte son journal intime sont gênés quand les spectateurs sont séduits par cette catharsis stylisé sur grand écran. L'absurde habite ce film où Moretti reconnaît donc la vacuité apparente, l'exhibitionnisme coupable d'un auteur qui se raconte que cela vous plaise ou non.

Mais dites-moi, que faire l'été quand la capitale désertée ne propose que chaleur étourdissante et films érotiques de série B? Esthète, Nanni Moretti se réfugie dans l'architecture comme une ultime madeleine de Proust. Ce journal est une lettre ouverte à des spectateurs qu'il veut convaincre que l'espace et la ville sont les labyrinthes intimes de nos souvenirs d'enfance. Mais il arrive aussi que Moretti, le masochiste, s'abandonne à ses plus bas instincts devant le sanguinaire Henry et le coquin mais pas très malin Blanche-Neige et les Sept Nègres. De cet écran des lamentations, Moretti se moque du cinéma Italien. Mais l'ironiste en chef ne peut parler de lui sans rendre hommage à Pasolini, en écumant les lieux de son assassinat, à Rossellini en recréant une scène surréaliste à Stromboli ou encore à Visconti en évoquant avec humour les fantaisies de son ancien amant Helmut Berger. Que faire de cet héritage qui pèse si lourd sur les épaules? Autant l'essaimer aux quatre vents et rejouer l'Odyssée à travers toute l'Italie.

Ce film, habité par une pulsion de vie viscérale jusqu'à la dernière goutte, n'oublie pas de nous rappeler que chaque homme est désespéré et désespérément seul. Dans cette tragédie du quotidien où Moretti se nourrit des paysages, à l'abri de la foule qui vampirise tout sur son passage, il n'en oublie pas de croire en l'Homme. A quelques années d'Aprile il pense encore pouvoir mépriser la paternité et l'enfant roi, mais il continue à magnifier l'errance de celui qui cherche. Il marche, un bateau passe et sans prévenir le spectateur est submergé par l'émotion. Pourquoi? Parce qu'avec ces quelques pas il nous rappelle que chaque homme est une île en mouvement. Chacun est condamné à l'incommunicabilité. Même le génial cinéaste est profondément seul, comme un volcan en sommeil prêt à entrer en éruption. Sur les prescriptions, sur les boîtes de vaccin, on peut lire Giovanni Moretti. Il est enfin là! Le clown fait encore rire aux larmes, mais il sait aussi orchestrer la grâce des lieux et la satire d'une société intoxiquée aux leurres.

Sans doute Moretti est-il au sommet de son oeuvre avec ce Journal Intime au murmure universel.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article