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Picasso à Sabra et Chatila

Ces dernières semaines j'ai pas mal lu, pas mal écouté la radio et surtout j'ai ouvert grand mes yeux. C'est sûrement le cas pour vous aussi mais une peinture fait toujours résonner en moi une chanson, un goût ou un film. C'est pourquoi j'aimerais désormais faire du lien entre tous mes coups de coeur. De fil en aiguille on trouvera bien un cadavre des plus exquis...

 

D'abord, il y a eu l'expo Guernica au Musée Picasso. Le 5, rue Thorigny s'est plié en quatre pour faire éclater toute la lumière sur la part d'ombre de l'oeuvre monumentale du torero révolté. Mais amère ironie, l'expo Guernica se fera sans Guernica. Coup de maître ou coup de grâce pour le directeur de l'exposition? Toujours est-il que le musée Reina Sofia garde précieusement son butin post-Franco depuis un doux matin de 1992. Pas de prêt possible!! Vous apprécierez l'absurde de la situation pour le plus parisien des catalans, d'être pris en otage à Madrid. 

Mais ça vaut le détour!! Entrez dans la tête d'un génie au travail. Venez voir les 1001 formes qu'a pu prendre ce triptyque païen. Sans arme ni rouge sang, Picasso lâche une bombe dans l'histoire de l'art engagé avec pertes et fracas. Venez faire l'autopsie de ces corps animés par la douleur et la rage de survivre après le chaos. Disséquez le processus créatif d'un Picasso au sommet. Aussi, venez voir les talents de photographe d'une muse qui ne compte pas pour des prunes, Dora Maar, qui a immortalisé les différentes vies et structures de l'ogre Guernica. 

Jusqu'au 29 juillet au musée Picasso

http://www.museepicassoparis.fr/

Picasso à Sabra et Chatila

Ensuite il y a eu ma visite à l'Institut du Monde Arabe. Ma première fois! je voulais absolument voir l'expo de l'artiste irakien Dia Al-Azzawi autour des massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila commis en 1982 au Liban, au coeur de la guerre civile devenue régionale. Sur le mode du polyptique, Al-Azzawi suggère les figures de l'horreur. Pour montrer l'indicible, l'échos à Guernica est évident. Les figures géométriques, la colombe, l'attachement aux objets et aux animaux par souci d'anthropomorphisme. C'est par la main de l'homme et par elle seule que toute la nature est décharnée. 

Aussi, l'auteur de ces portraits de la mort, ici et maintenant, met en marche les mécanismes entamés par Jean Genet dans son essai Quatre heures à Chatila.  

Au fond de la pièce consacrée à l'exposition, vous trouverez un grand miroir. Comme pour nous dire : "et toi? tu fais quoi pour que ça s'arrête? comment tu peux encore te regarder en face?" Bref, c'est toute l'architecture de l'exposition qui entre dans l'art politique avec ce regard forcé sur nos propres actes. 

Jusqu'au 23 septembre à l'Institut du monde arabe.

https://www.imarabe.org/fr/expositions/dia-al-azzawi-sabra-et-chatila

Picasso à Sabra et Chatila

 

Inscris !
Je suis Arabe
Le numéro de ma carte : cinquante mille
Nombre d'enfants : huit
Et le neuvième... arrivera après l'été !
Et te voilà furieux !


Inscris !
Je suis Arabe
Je travaille à la carrière avec mes compagnons de peine
Et j'ai huit bambins
Leur galette de pain
Les vêtements, leur cahier d'écolier
Je les tire des rochers...
Oh ! je n'irai pas quémander l'aumône à ta porte
Je ne me fais pas tout petit au porche de ton palais
Et te voilà furieux !


Inscris !
Je suis Arabe
Sans nom de famille - je suis mon prénom
« Patient infiniment » dans un pays où tous
Vivent sur les braises de la Colère
Mes racines...
Avant la naissance du temps elles prirent pied
Avant l'effusion de la durée
Avant le cyprès et l'olivier
...avant l'éclosion de l'herbe
Mon père... est d'une famille de laboureurs
N'a rien avec messieurs les notables
Mon grand-père était paysan - être
Sans valeur - ni ascendance.
Ma maison, une hutte de gardien
En troncs et en roseaux
Voilà qui je suis - cela te plaît-il ?
Sans nom de famille, je ne suis que mon prénom.


Inscris !
Je suis Arabe
Mes cheveux... couleur du charbon
Mes yeux... couleur de café
Signes particuliers :
Sur la tête un kefiyyé avec son cordon bien serré
Et ma paume est dure comme une pierre
...elle écorche celui qui la serre
La nourriture que je préfère c'est
L'huile d'olive et le thym


Mon adresse :
Je suis d'un village isolé...
Où les rues n'ont plus de noms
Et tous les hommes... à la carrière comme au champ
Aiment bien le communisme
Inscris !
Je suis Arabe
Et te voilà furieux !


Inscris
Que je suis Arabe
Que tu as rafflé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais
Moi et mes enfants ensemble
Tu nous as tout pris hormis
Pour la survie de mes petits-fils
Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir aussi
...à ce que l'on dit !


DONC


Inscris !
En tête du premier feuillet
Que je n'ai pas de haine pour les hommes
Que je n'assaille personne mais que
Si j'ai faim
Je mange la chair de mon Usurpateur
Gare ! Gare ! Gare
À ma fureur !

 

Mahmoud Dahwich, "Inscris : je suis arabe", dans son recueil Identité, 1964
 

Parvis de l'IMA en mai 2018

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