Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier de Pedro Almodovar - 1980

Franco est mort ! Longue vie au roi Pedro. Dans son premier long métrage, Almodovar arpente les ombres et lumières du milieu underground madrilène. Tout commence avec un plan hitchcockien : fenêtre sur cour, chacun a une vue imprenable sur la vie privée du voisin. De la menthe? Du basilic? Non, c'est bien de la marijuana que l'incandescente Carmen Maura cultive sur son balcon. La belle plante incarne Pepi, une jeune vierge pas farouche pour deux sous qui va se faire violer par un policier. Pour qu'il ferme les yeux sur ses herbes peace and love il aura bien fallu qu'elle écarte les jambes. Le policier sans nom et sans vergogne n'aime ni la démocratie ni les femmes indépendantes. De là à dire qu'il incarne les nostalgiques du franquisme et les abus d'un pouvoir autoritaire suranné il n'y a qu'un pas qu'il ne faut pas avoir peur de franchir. Pepi est assoiffée de vengeance! Ses amis vont se charger de corriger l'odieux personnage, ce qui ne manquera pas de réveiller l'eau érotique qui dort à Madrid. Pepi se délecte de chaque coup infligé au policier.

Luci (Eva Siva), elle, s'est mariée au policier pour qu'il la maltraite. "Mais quelle erreur! Il me traite comme sa mère". Heureusement que son chemin a croisé celui de Pepi et de Bom (jouée par Alaska, figure montante du rock alternatif espagnol). Sans culpabilité, sans psychologie de comptoir, chaque personnage d'Almodovar suit son instinct et a bien raison de le faire puisque le sadisme de l'un pisse sur le masochisme de l'autre. Dans ce monde interlope, la nouvelle vague rock croise les gays, les outsiders, les prostituées, les drogues, le maquillage outrancier dans un pays en pleine "transicion" où un nouveau système politique se reconstruit sur les ruines du franquisme.

Pedro Almodovar nous fait même l'honneur de sa présence le temps de mesurer quelques érections viriles et d'élire le grand gagnant "d'erecciones generales". Ce dernier a le droit de choisir n'importe quel partenaire et de lui imposer n'importe quelle pratique sexuelle. L'heureuse élue n'est autre que la "charmante" mais non moins "cochonne de Murcie" Luci. 

Avec ce film, comme il fera tout au long de sa carrière, Almodovar éclate la cellule familiale. Il n'y a plus de paternalisme, plus de tabou sexuel mais une vraie anarchie des moeurs qui laisse place à la jeunesse, à la créativité. Cette réaction spontanée occulte la figure du père et nous rappelle que la famille ça se mérite. Les chicas de Madrid se la créent au gré des nuits arrosées et des coups durs. Le conteur Almodovar entame ses portraits de femmes fortes, indépendantes, exubérantes et solidaires en milieu urbain, un milieu souvent hostile.

Tourné en presque deux ans, cet ovni iconoclaste est un arrêt sur image de toute la contre-culture dont s'est impregné l'enfant de la Mancha Almodovar. Venu de sa campagne catholique et conservatrice il fuit ce milieu étouffant et s'attelle dès ce premier coup de fouet de 80 minutes à transgresser toutes les normes, à rendre hommage à ses peintres et es cinéastes préférés tout en vouant un culte au kitch et au mauvais goût. De la mise en scène frontale à la mise en abîme (plans de miroirs, de fenêtres, idée d'un film dans le film, parodies de publicités grivoises) on retrouve déja tout ce qu'on adore (ou qu'on abhorre) chez Almodovar. Que viva Movida!