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Habemus Nanni Moretti!

Habemus Nanni Moretti!

Mia Madre sort le 2 décembre. Je vous propose alors une petite séance de rattrapage pour être incollable sur le maestro de l'ironie. Nanni Moretti reste aujourd'hui le seul cinéaste Italien qui ne déçoit pas après dix films et quarante ans de carrière. Il se donne le premier rôle dans presque tous ses projets, d'abord pour des raisons bassement pécuniaires puis par jeu de miroir avec son personnage récurrent de névrosé fantasque. Mais parler d'autofiction serait une erreur, à l'exception de Journal Intime. Mêlant humour et trame autobiographique, Nanni Moretti sera le chef de file d'un cinéma engagé à l'ère de la Forza Italia de Berlusconi. Pas de Bunga Bunga chez ce fils de bonne famille, enseignants de père en fils. Mais avec sa bande de copains il commence à tourner sans un sou, avec une caméra super 8. Les tournages peuvent prendre quelques mois pour ce perfectionniste qui dépend de la disponibilité des autres. Les courts métrages, "La Sconfitta" et "Pâté de Bourgeois" seront ses cartes de visites auprès des cinéastes qu'il adore. Les frères Taviani le poussent à continuer son projet de long métrage. Moretti entame alors le portrait d'un artiste mégalomane, cible sur laquelle il s'acharnera quelques années, pour notre plus grand plaisir. D'abord admis dans le milieu underground, il est très vite remarqué par les festivals internationaux.

Habemus Nanni Moretti!

Je suis un autarcique (Io sono un autarchico), 1976.

Chez Nanni Moretti, filmer l'avant-garde du milieu underground romain n'est pas sans arrière-pensée. Pour ce premier long métrage tourné en super 8, le jeune homme de 20 ans dénonce un cinéma italien morne, qui ne renaît pas des cendres de Pasolini (sauvagement assassiné un an plus tôt), de l'humour cinglant de Risi et encore moins du néo-réalisme de Sica.

Fabio Ghezzi (Fabio Traversa), un dramaturge raté veut "atteindre la folie" avec sa future création qui bien sûr ébranlera tous les codes établis. L'artiste écorché vif gratte à la porte de ses anciens comédiens mais une humiliation leur a déjà suffit. Fabio doit alors trouver d'autres idiots qui accepteront de jouer pour lui. Pourquoi pas ses amis? Voilà que Moretti filme une bande de copains désœuvrés, pris par leur vie insipide, qui préfèrent être désespérément seuls en groupe. Tantôt un couple vit Beckett sans le savoir, se déchire à demi-mot, tantôt le personnage de Moretti doit élever seul son fils Andrea alors que sa femme vient de le quitter. Ce qui ne l'empêche pas de continuer à vivre aux crochets de son père. S'ensuivent alors une excursion de tous les dangers et de longues répétitions jusqu'à une représentation inoubliable.

Au fait, en quoi ce film est-il si novateur s'il ne montre que des jeunes gens qui se prennent au sérieux pour passer le temps? Mais c'est bien en cela que notre cinéaste en verve est révolutionnaire mon cher lecteur. Nanni Moretti se donne le droit de parler d'une génération qui, cinématographiquement, n'avait pas de voix. Dans cette marche à sens unique vers un conformisme post-68, Moretti ose exprimer des doutes et des désillusions dans un climat de grande certitudes et de grands idéaux. L'autarcique autodidacte est déjà lucide sur le non-héritage de 68 alors même que la fête n'est pas totalement finie. Des vapeurs d'herbes hallucinogènes embuent encore la scène "art et essai". Le cinéaste s'autorise donc une franche ironie pour que ceux qui font et défont le cinéma expérimental se prêtent à l'autocritique. Pari réussi! Le film est projeté des mois durant au Film Studio, petit ciné-club très prisé de Rome à l'époque. C'est le début de la reconnaissance et du conflit ouvert contre le cinéma gestuel sans fond ni saveur politique pourtant en vogue à l'époque.

On nous dit qu'il faut lutter pour que les générations futures puissent avoir une société plus libre, pour que nos enfants puissent en profiter ... Et nous? Parce que moi, les générations futures je m'en fous.

Nanni Moretti

Habemus Nanni Moretti!

Ecce Bombo, 1978.

Michele est un sale gosse de 22 ans qui vit encore chez sa mère, martyrise son père et materne sa soeur. Avec ses trois amis dadaïstes, il écume les bars à la recherche du temps perdu jusqu'à ce qu'Olga, une jeune schizophrène, fasse son apparition. Les âmes solitaires vont alors se prêter au jeu de l'introspection collective lors de "réunions d'autoconscience". Avec ce second film, Moretti ne s'est pas adouci. Meilleur technicien, il ose les travelling arrière, l'esthétique symbolique avec ses personnages qui observent le monde de l'embrasure de la porte. Moretti s'engage dans un cinéma douloureux mais jamais austère. Le cinéaste en serait presque sournois. Il nous fait rire aux éclats pour l'instant d'après nous faire ressentir le profond désespoir d'une jeunesse qui ne se supporte plus et qui ne supporte plus la vue de ces adultes qui veulent jouer aux copains par peur d'être des figures d'autorité légitime. Les parents sont démissionnaires, les enseignants marxistes ne veulent surtout faire subir aucune pression à leurs élèves durant les examens.

Une fois de plus, le cinéaste en colère n'oublie pas de désarticuler le cinéma grandiloquent avec son personnage de comédien aussi ridicule et survolté à la scène qu'à la ville. Enfin, c'est toute la société du spectacle qui prend du plomb dans l'aile dans ce décalage permanent entre la fonction sociale du "jeune" sans cesse interviewé, sollicité, incités à ne vouloir que s'amuser, être ambitieux et atteindre ses rêves alors que la réalité est bien plus morne. Beaucoup font semblant, s’exécutent, s'inventent un combat pour ne pas être seul et désespèrent de trouver un auditeur sérieux dans cet appel permanent à parler de soi. Mais personne n'écoute!

Film à voir absolument pour son moment de grâce avec les "maîtres chanteurs de la nuit".

Habemus Nanni Moretti!

Sogni d'Oro - 1981

Michele Apicella, encore lui, devient un alter ego aussi gourmand que fainéant. Le cinéaste de la jeunesse désabusée n'a pas tourné depuis trois ans mais réclame l'adoration d'un public qui l'a déjà oublié. Il ne fait plus rien, est-ce à dire qu'il n'est plus rien? Le jeune homme multiplie les débats après projection dans les cinémas minables, les universités et même devant les bonnes sœurs. Mais rien n'y fait! Dans ce parterre d'intellectuels complaisants, vous trouverez toujours un rabat-joie pour lui rappeler que sa carrière tourne en rond, que ses "non-films" ne s'adressent ni au paysan de Lucanie ni au berger des Abruzzes et encore moins à la ménagère de Trévise. Voilà donc ce qu'est devenu le "public" : une course à l'audimat qu'il faut mesurer en ciblant le spectateur moyen.

A l'aube de la dictature de la télé dépourvue de réalité, Nanni Moretti reconnaît son grand passage à vide et sa soif de reconnaissance dans cet exercice stylisé et certainement douloureux d'autocritique. L'Italie déserte les salles de cinéma depuis que le Cavaliere est parti à la croisade du foyer type. Le personnage cynique et agressif décliné à l'infini par Dario Cantarelli incarne ce discours démagogique et superficiel sur les nouveaux besoins de la classe moyenne. Lorsque le prolétariat post-68 rentre de son dur labeur, il aurait presque un besoin viscéral de se reposer devant les veline de Canale 5. Le nombriliste aux cheveux longs qui prétend parler des jeunes ne peut rien contre les potiches officielles de Berlusconi priées de bien vouloir se dénuder entre deux interviews potaches d'hommes politiques. Entre un tournage difficile et les provocations d'un cinéaste bouffon à la popularité grandissante, Michele va finalement jouer le jeu de l'humiliation consentie dans les nouvelles émissions de télé. Que le meilleur gagne! Il fredonne à son tour un chant hypnotique et abrutissant devant un "public de merde" conquis et lobotomisé. "Faites de beaux rêves!" Enfin, l'enfant sage arrive à dire la déferlante de vulgarités qui s'abat sur les médias italiens sans jamais tomber dans la fange du mauvais goût. Plus symbolique que ses prédécesseurs, le fils d'enseignants ne se salit pas les mains comme Pasolini et ne plonge pas non plus dans l'humour paillard de Fellini. Mais avec ce scénario délicieux, Moretti parvient une fois de plus à mêler la désolation d'un homme et les visions de Cassandre sur la vacuité en voie de faire déborder les médias jusqu'à la nausée.

Ajoutons que Remo Remotti y est pour beaucoup dans l'ivresse étourdissante de Sogni d'Oro. Alors que Moretti peut tourner une scène en 80 prises, l'acteur de Mamma Roma s'est permis quelques improvisations pour interpréter un Freud qui, comme Michele et sûrement Nanni Moretti, ne veut pas surmonter son complexe d'Oedipe. Attendez-vous à quelques éclats de rire pour épicer ce constat d'échec amer sur le sens de l'art. Dans ce film personnel, le réalisateur orgueilleux se convainc que le succès populaire est l'antinomie du talent. Aussi, l'allusion à celui qui "a apporté la peste" dans notre inconscient n'est pas sans lien avec les cauchemars angoissants que fait Michele. Chaque nuit, il s'imagine revenir à l'état d'échec, à l'absence de la carrière cinématographique. Le seul cinéaste italien autoproclamé vit toujours seul avec une mère qu'il maltraite mais ce qui le tourmente c'est de finir en enseignant malheureux, amoureux déçu d'une de ses élèves. Pas n'importe laquelle, Laura Morante. Finalement, c'est à l'ombre de ses pensées intimes que Michele se surprend à rêver d'un scénario romantique fait pour le public et les critiques qu'il exècre. Comme contaminé par ce qu'il combat par ses manières princières, il cache peut-être une jalousie encombrante dont il n'arrive pas à se libérer.

Habemus Nanni Moretti!

Bianca, 1983

Michele, jeune professeur de maths, vient d'emménager dans la version italienne de "Fenêtre sur cour". Quel bonheur pour cet obsédé du couple que d'être le public gourmand de tous les voisins qui s'aiment et se trompent dans les appartements d'en face. Pour son premier jour à l'école Marilyn Monroe, il découvre que la course vers le progrès empêche d'enseigner autre chose que l'Histoire de la musique populaire et la Science Naturelle du baby-foot. Il ne faudrait surtout pas heurter la créativité des élèves. Nanni Moretti, le réactionnaire, ne peut toujours pas s'empêcher d’égratigner le culte de l'inculture quitte à tomber dans la caricature la plus outrancière. Mais il le fait si bien que sa mauvaise foi tourne à la fulgurance hilarante.

Pour ce nombre premier, l'amour à deux est sacré au point qu'il collectionne toutes les photos de ses amis en couple, tente de les réconcilier à tout prix et sombre dans la folie quand une séparation pointe le bout de son nez. D'ailleurs, un meurtre mystérieux vient d'avoir lieu chez les voisins d'en face. Michele serait-il coupable de la disparition de la femme adultère? La comédie burlesque prend très vite des airs de thriller après une série de crimes déroutants.

Un jour, il rencontre la sublime Bianca (Laura Morante) et sa vision du couple idéal pourrait bien s'en voir bouleverser. Le simple spectateur devra devenir maître de ses actes, de ses pulsions et briser un couple pour vivre le sien.

Habemus Nanni Moretti!

La messe est finie - 1986

Le jeune Père Giulio est contraint de renoncer à une île paradisiaque où il menait une vie contemplative et sans sursaut pour atterrir dans une paroisse désertée de Rome. Les croyants ont fui ce lieu de déperdition où l'ancien prêtre habite désormais en face avec femme et enfant. Pour le rejeton rejeté de l'église, l'amour prodigué à ces deux êtres ne fait que renforcer sa foi. Voilà qui a de quoi déstabiliser un Giulio aussi fasciné par le bonheur qu'il est intransigeant avec tout ce qui n'entre pas dans ses certitudes. Vingt ans avant Habemus Papam, Moretti semble déjà éreinté par la vie d'homme d'Eglise.

La même famille décharnée semble façonner tous ses films. Giulio méprise son père, trouve refuge dans les jupes de sa mère et sermonne sa sœur libre et indépendante. Ces relations conflictuelles sont les derniers vestiges d'une jeunesse perdue. Mais même papa et maman vieillissent. Tous ses amis d'enfance ont mené leur vie de leur côté. Ils ont divorcé, fini en prison (seule timide allusion aux années de plomb de toute sa carrière), sont devenus gourous, homosexuel persécuté ou simple misanthrope. Mais tous lui rappellent que lui seul n'a pas changé. Il en devient agressif, névrosé, tourmenté. Force est de constater qu'aucune de ces brebis n'a besoin de ses conseils. La jalousie finit d'anéantir l'homme aigri et amer quand son père de soixante ans redevient un jeune tourtereau dans les bras d'une autre. Submergé par le bonheur familial et l'idylle amoureux, auxquels il est condamné à être étranger, l'amènent à renoncer. La messe est bien finie.

Habemus Nanni Moretti!

Journal intime - 1993

Ce que Nanni Moretti préfère le plus au monde, c'est arpenter les rues de Rome à bord de sa Vespa. Nous, ce qu'on aime le plus au monde, c'est de voir le "splendide quadragénaire aux idées justes" s'aventurer, enfin, dans les dédales de l'autofiction. Alors en trois chapitres saisissants, Nanni Moretti se livre avec pudeur et insolence comme pour conjurer le vilain tour que lui a joué son lymphome de Hodgkin. Trois mots suffiraient à faire tomber le masque de l'ironiste en chef? Vespa, îles, médecins.

D'abord écrit noir sur blanc, le journal trouve très vite sa musicalité dans la voix rythmée, si particulière, du cinéaste. La mise en abîme va jusqu'à mettre en scène l'oralité de sa vie privée. Là, les passants auxquels il raconte son journal intime sont gênés quand les spectateurs sont séduits par cette catharsis stylisé sur grand écran. L'absurde habite ce film où Moretti reconnaît donc la vacuité apparente, l'exhibitionnisme coupable d'un auteur qui se raconte que cela vous plaise ou non.

Mais dites-moi, que faire l'été quand la capitale désertée ne propose que chaleur étourdissante et films érotiques de série B? Esthète, Nanni Moretti se réfugie dans l'architecture comme une ultime madeleine de Proust. Ce journal est une lettre ouverte à des spectateurs qu'il veut convaincre que l'espace et la ville sont les labyrinthes intimes de nos souvenirs d'enfance. Mais il arrive aussi que Moretti, le masochiste, s'abandonne à ses plus bas instincts devant le sanguinaire Henry et le coquin mais pas très malin Blanche-Neige et les Sept Nègres. De cet écran des lamentations, Moretti se moque du cinéma Italien. Mais l'ironiste en chef ne peut parler de lui sans rendre hommage à Pasolini, en écumant les lieux de son assassinat, à Rossellini en recréant une scène surréaliste à Stromboli ou encore à Visconti en évoquant avec humour les fantaisies de son ancien amant Helmut Berger. Que faire de cet héritage qui pèse si lourd sur les épaules? Autant l'essaimer aux quatre vents et rejouer l'Odyssée à travers toute l'Italie.

Ce film, habité par une pulsion de vie viscérale jusqu'à la dernière goutte, n'oublie pas de nous rappeler que chaque homme est désespéré et désespérément seul. Dans cette tragédie du quotidien où Moretti se nourrit des paysages, à l'abri de la foule qui vampirise tout sur son passage, il n'en oublie pas de croire en l'Homme. A quelques années d'Aprile il pense encore pouvoir mépriser la paternité et l'enfant roi, mais il continue à magnifier l'errance de celui qui cherche. Il marche, un bateau passe et sans prévenir le spectateur est submergé par l'émotion. Pourquoi? Parce qu'avec ces quelques pas il nous rappelle que chaque homme est une île en mouvement. Chacun est condamné à l'incommunicabilité. Même le génial cinéaste est profondément seul, comme un volcan en sommeil prêt à entrer en éruption. Sur les prescriptions, sur les boîtes de vaccin, on peut lire Giovanni Moretti. Il est enfin là! Le clown fait encore rire aux larmes, mais il sait aussi orchestrer la grâce des lieux et la satire d'une société intoxiquée aux leurres.

Sans doute Moretti est-il au sommet de son oeuvre avec ce Journal Intime au murmure universel.

Habemus Nanni Moretti!

Aprile - 1998

Mamma Mia! Nous sommes le 28 mars 1994. Les élections législatives viennent d'adouber Berlusconi à la tête de l'Etat Italien. Le présentateur du journal télévisé d'une chaîne appartenant au Cavaliere se félicite de la victoire de son courageux et fidèle ami, seul contre une presse qui s'est acharnée contre Silvio le Conquérant. Scène de fiction ou troublante réalité? C'est ce que se demandent Giovanni Moretti et sa mère devant ce véritable extrait propagandiste réalisé sans trucage ni effets spéciaux. Après le succès de Journal Intime (1993), le cinéaste persiste et signe dans la vertigineuse expérience de l'autofiction. Le militant de gauche renouvelle l'exercice introspectif pour tenter de comprendre comment l'Italie a pu voter pour Ubu Roi.

Aprile est d'abord le dévoilement de la consternation d'un homme. Atterré, il ne voit pas d'autre solution que de fumer un gros pétard. Mais ça ne suffit pas. Alors il essaye de reprendre son grand projet de comédie musicale sur un boulanger trotskiste dans un village acquis à la cause de Staline. Mais ça ne suffit toujours pas! Sur les conseils d'un journaliste français il va prendre le problème à bras le corps et faire un documentaire documenté sur la prochaine élection législative. Mais entre-temps, une autre question de pose. Fille ou garçon? Giovanna ou Pietro? En effet, le cinéaste résistant parti en croisade est sur le point d'être papa. Silvia Nono, sa femme, doit le soutenir, le rassurer. Et si elle pouvait retarder son accouchement de quelques semaines pour lui laisser le temps de terminer son prochain film, ce serait encore mieux. L'égocentrique engagé se surprend à être de moins en moins enthousiasmé par la politique, mais est galvanisé par les chaussons en laine tricotés avec amour par sa maman. (Notons que toute la filmographie de Moretti montre un intérêt suspect pour les chaussures.) Ce documentaire est un devoir, une obsession dont il se lasse vite.

Pourtant, il découpe, redécoupe, colle et assemble tous les articles qui relient la complaisance des journalistes à l'omnipotence du Pacha au pouvoir. Dans ce harem d'intellectuels, tout se confond dans ce que Moretti appelle un seul et même journal. La presse rend fou l'homme pressé de changer le monde. De cette réalité implacable il s'en fait des couvertures comme pour s'effacer sous cette montagne de désinformation. Toutes les revues passent sous ses ciseaux comme pour écorcher vif une Italie amnésique. De cette mémoire courte il se raccroche encore et toujours au cinéma. Comme un dernier rempart contre ce qu'il ne comprend pas, tous ses films disent son histoire d'amour avec le septième Art. Dans un jeu de mise en abîme, ces rendez-vous visuels sont tantôt moqués (surtout les films américains) tantôt vénérés mais restent le dernier refuge d'un citoyen à bout de souffle.

Quelle torture que cette campagne! Le chef du gouvernement détient donc trois chaînes de télévision. Il défend le peuple italien qui travaille contre l'Italie qui bavarde. Il applaudit le peuple italien qui vote juste malgré les mensonges des journalistes et des juges? Le discours de Berlusconi ne vous rappelle personne? Ce film qui a bientôt 20 ans semble traverser le temps et les frontières.Voilà un président pas démagogique pour un sou qui veut travailler plus pour gagner plus de mandats. Mais pire encore, Moretti est indigné par l'indifférence de la gauche, son effacement et son manque de combativité. Il n'est pas tendre avec son parti qui s'acharne dans un mutisme passif. Tout au long du film, le spectateur est mis en position non pas de simple observateur mais de voyeur. Entre zoom avant prodigieux et champ/contre-champ audacieux, Moretti nous ballade dans le labyrinthe de ses sensations et de ses souvenirs. Il filme pour lui, pour ne pas oublier la tendresse de sa mère, la naissance de son fils, son indignation face aux premiers migrants morts sur les côtes italiennes. Dans ce petit film aux grands éclats, l'intime flamboyant est toujours le contre-point de l'actualité d'une politique vacillante qui s'acharne à désenchanter le monde.

Avec Aprile, Moretti, optimiste en herbe, renouvelle le rapport pére/fils. Il s'autorise un peu de répit dans cette relation qu'il a toujours décrite comme conflictuelle. L'incommunicabilité des films précédents s'efface dans un jeu de miroir pour dire que le fils est devenu père. Quand l'enfant paraît, l'absence politique et humaine de la gauche n'a plus aucune importance. Dans un nouveau rapport au temps, une nouvelle urgence se dessine. Désormais il ne filmera que ce qui lui plaît. Le lonesome cow-boy est maintenant un père de famille qui crie victoire pour la naissance de son fils au moment de l'élection de la gauche. Aprile, c'est le début du printemps, le renouveau.

Habemus Nanni Moretti!

Habemus Papam - 2011

Ce petit bijou qui fantasme la part d'ombre du Vatican serait-il devenu un conte prémonitoire? Le Pape est mort! Les cardinaux se réunissent donc pour choisir le nouvel élu de Dieu. D'abord tourné comme un simple documentaire sur la ferveur populaire Place Saint Pierre, le film porte très vite la marque Moretti avec la chenille qui redémarre chez les hommes en rouge et le cardinal qui se prend les pieds dans le tapis. A l'heure du vote, le Collège des Cardinaux ressemble à s'y méprendre à des petits écoliers, certes, sous les traits d'hommes blancs vieillissants et bedonnants. Les cancres hésitent à rendre copie blanche, attendent peut-être une indication de vote. Incapables de poser un nom, ils essayent de tricher sur le copain. Ce qui compte, c'est de ne surtout pas être élu. Que de pressions pour ce Conclave qui va devoir nommer un condamné à mort censé apporter la bonne parole au milliard de chrétiens à travers le monde. Après deux fumées noires, c'est sûrement après intervention divine (ou peut-être après concertation humaine) qu'un inconnu est élu. Inconnu? Pas tant que ça. C'est tout de même le plus communiste des acteurs français, Michel Piccoli, qui interprète ce croyant tourmenté.

Fumée blanche, enfin! Habemus Papam! Mais point de bénédiction du souverain pontife. Seul un cri déchirant, un cri de nouveau-né se fait entendre. Le cardinal Melville ne peut pas affronter les applaudissements d'un public pourtant acquis à sa cause. L'intrigue commence enfin. Voilà le sujet du cinéaste italien au pays le plus catholique qui soit. Il s'invente une rencontre au sommet entre l'analyse de l'inconscient et la crise sacerdotale. Le trublion, pas si anticlérical que ça, se donne le rôle du psychologue venu mettre de l'ordre dans l'esprit sain(t) de Melville. Qu'est-ce qu'un Pape sans sa soutane blanche? L'homme n'a plus de vie privée, plus d'enfance ni de mauvaises pensées. S'il n'est qu'un corps sacré, alors le nouvel élu choisit d'être un corps profane en se soustrayant à l'autorité vaticane. Il erre dans les rues de Rome. On finit par ne plus s'entendre dans ce magma d'individualistes bavards.

Mais qui peut aider ce Pape en dépression dans un monde sans femme? Voilà ce qui lui manque : des saintes de la vie civile qui lui viennent en aide, lui donnent de l'eau, lui prête leur portable. De prime abord moins drôle que les autres, mais moins réaliste aussi, le film se dessine comme une fable. "Le corbeau darwiniste et le renard créationniste" font que les plus hautes sphères métaphysiques rencontrent le meilleur psychologue auto-proclamé.

C'est parce que l'homme est bon et humble qu'il ne peut se résoudre à être ce Pape plénipotenciaire, détenteur d'un pouvoir moral sur les fidèles. Il est étranger au jeu d'un star-system alimenté par les medias, où les bonnes soeurs se conduisent en groupies et où les cardinaux admirent béatement un homme élu non pas par Dieu mais par des plus peureux que lui qui ont parfaitement compris qu'être Pape est contre-nature pour celui qui n'est ni vaillant ni opportuniste. Ces doutes résonnent étrangement avec la démission de Benoît XVI et le jeune pontificat du fougueux Pape François, non?

Bons films!

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