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Le fils de Saul de László Nemes - Grand Prix à Cannes 2015

Le fils de Saul de László Nemes - Grand Prix à Cannes 2015

Pour le premier long-métrage du cinéaste hongrois, Le Fils de Saul secoue l'imagerie des camps de la mort en s'accrochant au seul point de vue d'un déporté repentant. Fin 1944, Auslànder Saul (Géza Röhrig, juif hassidique hongrois vivant à Brooklyn) est sonderkommando depuis quatre mois à Auschwitz-Birkenau. Ces prisonniers d'un genre particulier portent tous une croix écarlate sur le dos et une étoile de David sur la veste. Ces M les Maudits sont les méprisables nantis tout juste condamnés à mourir un peu plus tard que les autres. Aussi appelés juifs "porteurs de secrets", ils doivent leurrer les nouveaux arrivants, conduire les agneaux à l'abattoir, rechercher l'or et l'argent dans les vêtements qui n'ont plus de propriétaires, entendre les cris de ceux qui meurent gazés derrière la porte, amonceler les corps, récurer, frotter, se débarrasser, effacer, et recommencer au prochain convoi. L'industrie de la mort n'est plus qu'un simple travail à la chaîne auquel Auslànder s'est habitué.

L' image photographique du film au format 1.37:1 se compose comme un carré presque parfait pour réduire le champ de vision et mieux peser sur cet homme qui croit pouvoir cacher son visage et se soustraire à notre jugement derrière un simple bout de tissu. Mais c'est oublier que la caméra de Nemes ne laisse aucun répit à son sujet. Nous suivons dès un premier plan séquence parfaitement orchestré, presque en caméra embarquée, cet homme scruté en plan serré. Il n'est plus tout à fait dans le monde des vivants. Pourtant, ce fantôme inexpressif au teint cireux continue d'avancer, de se presser, de fouiller avec une indifférence troublante. Tout autour de lui est flou comme pour nous soumettre à l'immersion. Attarder son regard sur l'intolérable part d'inhumanité devenu système serait courir le risque inconsidéré de redevenir humain. Pourtant, à un moment cette caméra suffocante en devient lassante. Il aurait fallu qu'elle reprenne son souffle pour redevenir haletante. Cette immersion forcée provoque parfois l'effet inverse, le spectateur se laissant aller à quelques moments d'absence.

Un travail minutieux sur les sons et sur les voix donne pourtant une ampleur déchirante à un génocide hors-champ. Les murmures, les déglutitions, les tirs et les cris sont chacun isolés pour se prémunir d'un pathos si commun pour ce genre de films mais parvient au contraire à récrire des individualités dans ce massacre sans visage. Nemes s'est visiblement armé d'un lourd travail d'historien pour articuler ce film difficile, dont les nazis sont presque absents, comme une fable mystique. Le cinéma fait définitivement son oeuvre quand Le Fils de Saul entre dans l'allégorique avec ce jeune garçon qui respire encore malgré l'intoxication aux gaz. Un prisonnier médecin vient vite remédier à ce désagrément. Auslànder se sent alors investi d'une mission. Il doit enterrer ce fils symbolique à tout prix. Surtout, il doit trouver un rabbin pour dire le kaddish et enterrer avec dignité cette victime parmi tant d'autres, comme si Auslànder s'était éveillé au devoir d'un homme lâche face à l'enfant-peuple.

Le fils de Saul est donc l'improbable, et d'autant plus visuel, chemin de croix d'un Sisyphe juif qui porte son fardeau comme une raison d'être. Pour s'absoudre de son abnégation face à la banalisation de l'horreur, il préfère donner du sens à cette errance sans espoir en privilégiant le mort sur les vivants. Il est ému, enfin. C'est qu'il peut être sauvé. Peut-être. Pour les autres, on entend à peine bruisser une légère pluie, comme une ultime pénitence sur cette terre corrompue.

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